S'il est un moment exaltant dans la vie d'un amateur de musique, c'est celui où se découvre un talent. Cela peut avoir la couleur de l'illumination, souvenez-vous la première écoute de votre album fétiche, souvenez vous, ce jour-là, où votre univers musical a basculé ; mais cela peut aussi se faire avec patience, étapes par étapes, avec l'allure méthodique du soupçon confirmé, de l'indice débusqué, de la confirmation probante.
J'avais découvert les Black Box Revelation sur la scène du Grand Mix de Tourcoing en décembre 2008, aux hasards de la première partie des succulents Black Angels. L'énergie du duo n'avait pas manqué de l’interpeller, quoique sa jeunesse m'avait laissé encore quelque peu méfiant, facilement échaudé que je peux être par tout ce qui a l'air d'un coup marketing, ce qui pouvait bien être le cas de ces deux gamins bardés de cuir.
Fort heureusement, deux albums avaient fini de me convaincre que le groupe valait le détour, le succulent deuxième opus (Silver Threats, février 2010) finissant d'apporter la touche de maturité qui faisait encore défaut au percutant Set your head on fire (avril 2009).
C'est donc avec un plaisir certain que je m'apprêtais, pas loin de deux ans après, à retrouver sur la petit scène du club de l'Aéronef Jan Paternoster (chant / guitare) et Dries Van Dijck (batterie / chant). Je ne m'attendais pas à ce qu'ils aient entre temps pris une telle carrure d'homme.
Arborant de bien belles barbes et de bien fatigués visages, les deux compères semblent avoir encore engraissé leur rock. Il est des moments de pure intensité dans leur set où l'on sent que l'on touche du doigt quelque chose de véritablement essentiel, authentiquement usé, comme le manche d'une vieille six-cordes sur laquelle on aurait trop tiré, comme les peaux ridées d'une batterie que l'on aurait trop aimée.
Le public, venu nombreux de la Belgique voisine, où le duo rempli avec facilité de bien plus grandes salles, est très vite rentré dans le concert, avec les délices d'un chahut bon enfant et ravi. "High on a wire", "I think I like you", "Love licks", "Do I know you"... le duo égraine les titres imparables, jusqu'à l'inespéré et alangui "Here comes the kick", qui vient juste avant le rappel établir définitivement, si besoin en était encore, que le duo a plus d'un tour de centrifugeuse dans le sac de son répertoire.
Sur scène, le duo ne se contente pas d'infuser de l'énergie, au sens d'une agitation un peu vide, d'une simple puissance sonore, d'un tempo relevé ; il ajoute à tout cela une tension, une profondeur, une densité, une sensualité, une authentique dimension sexuelle et même, désormais : une virilité troublante – avec une richesse de nuances dont seules sont capables les formations les plus riches. Si le parallèle n'était trop aisé pour être adéquat, on oserait renvoyer à l'authenticité d'un Jack White, à l'époque où il savait sur scène tirer des larmes même aux motards les plus trempés de sueur en reprenant le "Jolene" de Dolly Parton (Under Blackpool Lights, enregistré en janvier 2004).
Signalons enfin que la première partie de la soirée a été assurée avec beaucoup de bonne volonté par la formation locale John Rattray, qui en a profité pour annoncer en direct son changement de nom. Si mes oreilles ne m'ont pas fait défaut, on connaîtra ainsi désormais la formation lilloise sous le patronyme The Brightest Outlook. Mais la performance du groupe n'atteint pas encore aux sommets de ces heureuses rencontres qui donnent envie de prendre un artiste en filature pour voir vers quelles extases ses prochaines étapes nous mèneront. Ce qui, au final, ne fait que confirmer le statut d'ogre sacré que sont en train de se tailler les Black Box Revelation, grands dévoreurs de public. |