20 ans après la mort de Robert Mapplethorpe, Patti Smith tient la promesse qu'elle lui avait fait d'écrire leur histoire. Leur histoire, c'est la bohème partagée au début des années 70 dans l'underground newyorkais vibrant au rythme de la beat generation et du mouvement hippie qui remettaient en cause l'american way of life.
Aujourd'hui, Patti Smith, poète, chanteuse et militante, icône punk-rock devenue une légende vivante, chavire toujours ses fans de la première heure et fédère les nouvelles générations fascinées par cette époque mythifiée et l'oeuvre du photographe Robert Mapplethorpe, fauché par le sida en pleine ascension, bénéficie du seventies revival.
Qui étaient-ils en 1970 ? De la la lecture de "Just kids", qui s'inscrit donc dans le registre de l'autobiographie et de la biographie, de surcroît au plus près du sujet, laisse déçu et, pour le moins perplexe, tant ce récit à une plume pour deux voix qui se voulaient métaphysiquement gémellaires est édulcoré et, au plan informationnel, quasiment dépourvu de valeur ajoutée tant par rapport à ce qui est déjà connu de leur "amitié amoureuse" qu'en ce qui concerne l'univers dans lequel se déployait la contre-culture.
Sur ce dernier point, cela tient essentiellement au fait que, contrairement à une idée répandue, ni l'un ni l'autre, même s'ils vivaient dans le fameux Chelsea Hotel de Manhattan, n'était engagé dans un mouvement militant ni même dans un collectif d'artistes mais uniquement dans une démarche personnelle d'artiste autoproclamé.
Une démarche essentiellement mystique mais selon des déclinaisons extatiques différentes et si égocentriques que cela entraînera le départ de Patti Smith
("Nos besoins ne concordaient plus. J'avais besoin de découvrir ce qui me dépassait. Robert avait besoin de fouiller en lui-même") et dans une acception du terme héritée du 19ème siècle notamment pour Patti Smith, sa fascination pour Rimbaud, en qui elle voit son archange, est à cet égard révélatrice, de l'artiste hors du monde dans un état médiumnique.
Dans une conception plus matérialiste pour Robert Mapplethorpe qui, avide de puissance et de reconnaissance, cherche le moyen de se démarquer des artistes qui avaient le vent en poupe, et notamment Andy Warhol, tout en se laissant submerger par une descente aux enfers ("Il a déclaré par la suite que l'Eglise l'avait mené à Dieu, et que le LSD l'avait mené à l'univers. Il a dit également que l'art l'avait mené au diable, et que le sexe l'avait maintenu auprès de lui").
S'agissant de la quête artistique, Patti Smith n'est donc guère prolixe en développements ou en analyse théorique. Elle dessine et écrit de la poésie, s'essaie au théâtre. Robert Mapplethorpe dessine, bricole des installations, fabrique colliers et collages à partir des images de magazines pornographiques. Ils se lanceront, elle dans la musique, lui dans la photographie, presque par hasard mais surtout, l'argent et les relations constituant le nerf de la guerre, grâce à l'influence et aux subsides d'un
amant de ce dernier, le collectionneur et mécène Sam Wagstaff.
Quant au récit intime, les amateurs de révélations en seront pour leur frais car Patti Smith pratique admirablement l'art de l'ellipse, éludant tout affect. De plus, en ce domaine, sa prose désincarnée ressortit à à la littérature à l'eau de rose.
Son rapport au corps et au sexe, dans un siècle et une période où ils étaient au centre des préoccupations, des expérimentations et des revendications, laisse dubitatif aussi bien quand elle évoque sa première grossesse accidentelle qui fut à l'origine de son départ pour New York ("Notre union avait été tellement fugace, tellement tendre que je n'étais pas complètement certaine que nous avions consommé notre affection"), sa rencontre et ses relations avec Robert Mapplethorpe dont elle a su immédiatement qu'il était "son chevalier" ("Je ne l'ai jamais vu par le prisme de la sexualité. Mon image de lui est restée intacte ; il était l'artiste de ma vie"), la découverte de l'homosexualité ("l'éveil physique") de ce dernier concrétisé par des "rapprochements physiques" ou son mari, le musicien Fred Sonic Smith ("un roi parmi les hommes, et les hommes le reconnaissaient").
Alors pudeur, pruderie, candeur, délicatesse ? La rockeuse sexagénaire est peut-être restée l'enfant qu'elle était et qu'elle décrivait comme
"une enfant rêveuse, quelque peu somnambule".
Ce "Just kids", littéralement "rien que des gamins", prend alors une allure de fable, de conte, dont les héros seraient deux oisillons tombés du nid, ces deux" enfants du lundi" voués à" vivre pour l'art et seulement pour l'art", qui se sont fait un serment "à la vie à la mort" :
"Etres fidèles, sans cesser d'être libres".
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