Textes de Grisélidis Réal mis en scène par Nicolas Kerszenbaum, avec Magali Montoya et Raphaël Mathon.
"Le respect s'étendra devant nous comme un tapis de velours sur lequel nous marcherons pieds nus sans nous blesser". Une phrase magnifique citée in extenso pour baptiser un spectacle qui s'avère une réussite exemplaire en forme d'ode éblouie et maîtrisée à son auteur, une femme hors du commun.
Nicolas Kerszenbaum, fasciné tant par la femme, prostituée "assumée"
qui cotoyait la misère sexuelle, sociale et humaine de ses clients émigrés et militante activiste de la Révolution des prostituées qui intervint dans les années 70 et le personnage qui émerge de sa prose autofictionnelle que par l'écrivain dont l'écriture ressortit au chant à la fois douloureux et triomphant, voit dans l'oeuvre littéraire de Griselidis Real "la source d'une parole incarnée, qui, par la grâce de son écriture, transmute sa vie en une fiction".
Puisant dans son corpus scriptural autobiographique et dans sa correspondance avec le journaliste et écrivain Jean-Luc Hennig, "mon souffle, ma respiration, mon inconscient, ma force, mon réservoir de folie et de sensations fortes" écrivait-elle, il dépasse l'exercice du montage de textes pour élaborer une vraie écriture théâtrale, créer "une boîte à songes qui fonctionnerait comme une chambre d'écho" pour cette parole de l'intime et de l'altérité, et, simultanément, proposer au spectateur un vortex pour aborder les territoires de réflexion politique induits par la prostitution.
Avec l'habillage sonore conçu par Erwann Guennec, Nicolas Kerszenbaum a assuré l'adaptation, la mise en scène et l'élaboration du dispositif scénique d'un spectacle narratif et réflexif qui, tissant le verbe et le corps, l'image et le son, le réel transcendé et la distanciation sensible, mérite le qualificatif souvent galvaudé de "total" et qui, en l'occurrence, résulte d'un travail maîtrisé et abouti avec, de surcroît, une vraie pertinence dramaturgique.
En scène, une femme et un homme. Raphaël Mathon, parfait, est l'homme, figure-miroir, homme ou femme, le double et l'autre. Magali Montoya, au physique si gracile, si fragile, porte magnifiquement ce destin accepté puis revendiqué et donne une belle incarnation à celle qui écrivait "de cette morale malade et inhumaine dont je n’ai pas crevé, je m’en suis simplement évadée vers plus de liberté au péril de ma vie". |