Tragédie de Albert Camus, mise en scène de Stéphane Olivié Bisson, avec Bruno Putzulu,
Gauthier Baillot,
Claire Hélène Cahen,
Clément Carabédian,
Pascal Castelletta,
Patrick d’Assumçao,
Jean de Coninck,
Maxime Mikolajczak et
Cécile Paoli.
Pièce insaisissable d'un auteur dont le mystère demeure, "Caligula" de Albert Camus est monté à l'Athénée dans une version qui étonnera.
Chacun connaît les débordements de ce souverain de vingt-neuf ans, brisé par la mort de sa soeur, qui s'étourdira de crimes et de caprices avant de périr sous le fer de ses patriciens humiliés.
Bruno Putzulu, Comédien-Français, revêt la toge du tyran et jette tout son génie et son âme dans un long cri libéré de douleur et de défi qui transperce. Loin de la frénésie et du sadisme, d'une "féminité" de décadent et de l'hystérie simulée, souvent associées au personnage, Putzulu, adolescent aux cheveux argentés, laisse remonter l'enfant joueur qui a rencontré la douleur, seule promesse de l'âge d'homme. De cette injustice, de cette indignation, Putzulu pleure puis Caligula exécute, humilie, mutile, convoque le courage de se rebeller, en l'admirant lorsqu'il se montre furtivement, chez le poëte, qui n'a rien à perdre.
A aucune seconde, pendant plus de deux heures, Putzulu n'abandonne une parcelle de présence, ne quitte son armure de douleur et de folie, à aucun moment l'émotion qu'il suscite renonce à jeter un écho dans la mémoire. La chambre à jouets, à hochets, à soldats de plomb qu'il habite, son trône mille-feuilles, le repas, cène de l'infâme, toutes ces images marquent et évoquent.
La mise en scène audacieuse, moderne sans pose, vue en rêve, de Stéphane Olivié-Brisson, mérite Putzulu et la troupe qui l'entoure. Deux réserves : la musique (Jean-Marie Sénia), belle, évoquant celles des films d'Hitchcock ou de Nino Rota est trop présente : le contemporain craint-il à ce point et le silence et le verbe ? Enfin, la méchante mode consistant à remplacer "pièce de" par 'texte de" : "Caligula", c'est Camus et Camus ce n'est pas un quelconque scénariste de cinéma !
Aux côtés de Bruno Putzullu, Cécile Paoli, comédienne et sublime, et sublime comédienne, compose une Caesonia bouleversante, intrigante compagne de fou, dont un exemplaire ou deux doivent bien subsister à l'époque contemporaine.
Mention spéciale à Scipion, le jeune poëte, alias Maxime Mikolajczak, émouvant à souhait, seul à pouvoir remuer, par sa pureté, le coeur limoneux de Caligula. Mais toute la troupe mérite éloges : Gauthier Baillot, Clément Carabédian, Pascal Castelletta, Patrick d'Assumçao, Jean de Cominck (formidable vieux patricien outragé et aplati) et Claire-Hélène Cahen.
A voir d'urgence, ce "Caligula" d'exception, dans le théâtre de Louis Jouvet, sous un ciel d'étoiles à signes, avec le risque terrible d'en être durablement bouleversé. |