Un virus bien féroce est un ingrédient de choix pour le scénario d’une bande dessinée de science-fiction. La survie de l’homme face à un ennemi aussi invisible que redoutable, la recherche d’un éventuel antidote sont autant de péripéties qui tiennent le lecteur en haleine. Souvenez-vous d’ailleurs de la terrible épidémie des Schtroumpfs noirs qui a failli avoir la peau de la minuscule communauté des petits hommes et de la femme bleus (non je ne fais pas référence à Bilal), sans la légendaire perspicacité du grand Schtroumpf, Gargamel aurait été obligé de pointer au FOREM (le Pôle Emploi belge). Je suis d’accord avec vous, c’est terrifiant !
La maladie est une matière narrative inépuisable et terriblement efficace dans la fiction mais quand elle se nomme cancer, sida, épilepsie..., nous ressentons un malaise plus terrifiant encore, le principe de réalité vient juste nous foutre un gros coup de boule. Pourtant, certains auteurs relèvent le défi de raconter ce que nous préférons ignorer. Ils dessinent des vies qui continuent malgré la peur, la souffrance et parfois même avec la mort en toile de fond. Les œuvres présentées ici sont autobiographiques et je serai presque tentée de dire forcément… car certaines choses dépassent notre imagination.
Pilules Bleues Frederik Peeters (Atrabile, novembre 2001)
Je commencerai forcément par l’œuvre la plus émouvante, selon moi : Pilules Bleues de Frederik Peeters. Un type, genre dessinateur de BD suisse (du nom de Frederik Peeters, par exemple !), tombe éperdument amoureux d’une femme qu’il a eu d’ailleurs eu l’occasion de croiser quelques années plus tôt, lors de ses orgies adolescentes. Au fil des rencontres, l’intimité entre nos deux tourtereaux genevois s’installe, notre homme prend même en affection la jeune progéniture de la jeune femme, ce qui selon moi est une preuve d’amour irréfutable.
Tout roule sauf qu’une maladie incurable s’est invitée à la fête, la jeune femme fait part très rapidement de sa séroposivité et de celle de son enfant. L’annonce est forcément brutale et l’auteur ne nous épargne rien, nous tremblons avec lui. On y croyait pourtant à fond à cette idylle parfaite, même si elle se déroule dans le pays du secret bancaire et du Gruyère qui, je vous le rappelle, n’a pas de trous comme le vulgaire Emmental français.
Pourtant, très rapidement la vie reprend le dessus sur la cruauté du diagnostic, la maladie n’est plus uniquement ce dont on meurt mais ce avec quoi on vit. On partage ainsi les angoisses quotidiennes certes principalement médicales (vous comprendrez enfin le lien entre une capote qui craque et un rhinocéros blanc…) mais aussi tout le reste ; les engueulades, les câlins, en bref tous les trucs d’un couple qui s’aime et de parents aimants. Le trait de Peeters est vif, dynamique, son encre sautille, jamais je n’ai vu autant de bleu dans le regard d’une femme dessinée en noir et blanc… En gros, je n’ai assez d’éloges pour ce qui me semble être une des plus belles histoires d’amour dessinées ces dernières années.
Cancer and the City Marisa Acocella Marchetto (L'Iconoclaste, septembre 2007)
Dans un registre moins magistral mais plutôt bien culotté, je pense à Cancer and the City de Marisa Acocella Marchetto. Forcément, la référence à la série la plus frivole, superficielle et captivante des années 2000 est incontournable et c’est peut-être pour cette raison que ce récit d’un combat contre le cancer du sein ne tombe pas dans le pathos. Cette Fashionista New-Yorkaise met la même énergie à se battre contre la maladie que pour dégoter une table dans le restau le plus couru de Manhattan ou une place aux soldes privées de Manolo !
L’auteur n’est pas journaliste mais illustratrice et c’est son histoire qu’elle raconte avec un dessin décomplexé aux couleurs audacieuses (voir la couverture de l’ouvrage) assurément pleines de vie. Cela peut paraître étrange mais finalement, le goût de Cosmopolitan de ce Cancer and the City en fait un vrai manifeste contre la déprime.
Monsters Ken Dahl (L'Employé du moi, novembre 2010)
La maladie n’est pas toujours grave ou incurable mais elle est toujours flippante car si elle peut parfois et malheureusement se transmettre, elle ne se partage pas et au final, on est toujours et indéfectiblement seul face au diagnostic. Ce sentiment est très bien mis en dessin par Ken Dahl dans Monsters.
L’auteur se découvre un herpès qui est peut-être un des virus les plus courants au monde dont on ne parle que très pudiquement, à travers le très encombrant bouton de fièvre. Certes non mortel, il en est néanmoins encore très mal soigné. Son herpès à lui est situé un peu plus bas ce qui rend le sujet d’autant plus délicat. Obsédé par le haut potentiel de transmission de son charmant virus, l’auteur s’interdit toute vie amoureuse et sexuelle et ainsi renonce tout simplement à vivre normalement. Certes, le trait caractéristique des comics indépendants US de Monsters allège le tout. Mais ce que l’auteur montre ici, c’est notre vulnérabilité face à un discours médical parfois obscur ou trop complexe qui nous laisse parfois dans l’ignorance totale de notre pathologie. Pourtant, mieux connaître notre maladie est une étape incontournable pour commencer la lutte.
La Parenthèse Elodie Durand (Delcourt, mai 2010)
La maladie ne s’attaque pas uniquement à nos corps mais aussi à nos têtes. Quand la maladie est neurologique ou psychiatrique, le diagnostic et l’issue semblent encore plus aléatoires. Les patients comme le corps médical semblent chercher ensemble la sortie. C’est ce grand maelstrom que décrit Elodie Durand dans La Parenthèse.
L’auteur a été victime d’une tumeur cérébrale non diagnostiquée. Au fil des crises d’épilepsie, des périodes d’amnésie, l’auteur est de plus en plus paumée au point de ne plus se reconnaître. C’est d’un trait simple que cette jeune femme forcément en mode combat nous fait partager son destin. Ses croquis gribouillés intensément sont les plus touchants ; ils matérialisent le tourbillon dans lequel elle a été retenue prisonnière. De l’art brut en guise de catharsis.
Journal d’une bipolaire Patrice et Emilie Guillon & Sébastien Samson (La boite à bulles, octobre 2010)
Enfin dans le Journal d'une bipolaire, Camille Guillon décrit sa plongée dans une maladie psychiatrique récemment baptisée bipolarité. Malgré un dessin qui me semble trop plat, trop sage (celui de Sébastien Samson), on est happé par le parcours de cette jeune femme dont nous espérons à chaque étape qu’elle se débarrasse d’une maladie qui lui pourrit radicalement la vie. On comprend aussi très vite que l’efficacité des traitements chimiques (souvent expérimentaux) est incertaine, que l’entourage assiste impuissant à un naufrage lent et inévitable. On comprend aussi que notre tête est parfois encore plus impitoyable avec nous-mêmes que n’importe quel virus.
Dans ce petit florilège d’œuvres, on voit que la BD s’impose aussi dans l’art d’exprimer ce que nous avons de plus intime avec simplicité. Des petits dessins pour raconter ce qui est souvent inexprimable, c’est un beau tour de force… |