Les premiers albums de Dinosaur Jr sortis à la fin des années 80 étaient le refuge des grands rêveurs : ce rock romantique préservait de la conformité d’une partie du rock indépendant et des goûts médiocres imposés par la norme. Les chansons cabossées de J Mascis apparaissaient alors comme étranges et inimitables. De l’album Green Mind sorti en 1991 s’exprimait une mélancolie vertigineuse, qu’au sortir de l’adolescence on préférait ne partager avec personne.
Le ton de ces chansons est resté le même vingt ans plus tard : le dernier album solo de J Mascis, Several Shades Of Why, propose une dizaine de chansons acoustiques, lentes et mélancoliques, qui auraient pu être écrites à l’époque de Green Mind. Si on ne retrouve pas ce vertige des débuts, on gagne en contrepartie en clarté : les fameux solos de guitare interminables, qui définissaient la singularité de Dinosaur Jr, ont fait place à une rythmique dépouillée d’une grande délicatesse. Quant à la voix elle reste toujours au bord de la cassure, et c’est cette cassure qui nous séduisait le plus.
Ce disque reste pourtant mineur, en regard du reste de l’œuvre de J Mascis, mais cela n’a pas vraiment d’importance : le plaisir d’écoute reste intact (le premier titre "Listen To Me" entretient le désir, dont la résonance se prolongera jusqu’à "Is It Done"). La musique mineure n’est-elle pas la plus personnelle et la moins partageable qui soit ? On ira l’offrir aux personnes qu’on aime pour marquer un moment d’amitié, peut-être pour initier un amour. Mais il faudrait alors retrouver ce geste oublié consistant à se procurer le support matériel, marquant plus les consciences que les transferts rapides de mp3. Ce sont ces objets pourtant dérisoires qui construisent une véritable histoire : travail de la mémoire, persistance du trouble, affect. |