C'est dans une Flèche d'Or complètement vide qu'Elista nous reçoit pour nous parler de leur troisième album, L'Amour, La Guerre et L'Imbécile. Les français y délaissent l'électricité de La Folie Douce pour pondre un album bucolique et acoustique, porté par un accrocheur premier single, "La St Valentin". Thomas (guitare /chant) et Benjamin (auteur du groupe et homme de l'ombre) répondent à nos questions. Puis Thomas est rejoint par François (guitare /chant) et Marc (batterie) pour une très belle session acoustique. La soirée se finit par une session photo très décontractée. On sent une ambiance fraternelle chez Elista. Deux chanteurs, un auteur qui fait partie intégrante du groupe mais ne joue pas avec eux : Elista est un groupe atypique et entend bien le rester.
Cinq ans se sont écoulés depuis La Folie Douce. Il a dû se passer pas mal de choses depuis ?
Thomas : Oui, 5 ans, c'est vrai, mais le temps passe vite en musique. On a fini la tournée, on s'est mis un petit peu à composer, on a eu des activités parallèles : Benjamin a écrit des bouquins, François et Benjamin ont aussi joué dans un court-métrage qui a été primé en festival. On voulait également sortir l'album au moment de la St Valentin à cause du single. Même si le disque était déjà prêt, on trouvait ça marrant de coller à l'actualité.
Et si je comprends bien, la St Valentin, ce n'est pas trop votre truc ?
Thomas : Non, pas vraiment. Mais je ne crois pas que ce soit le truc de grand monde, la St Valentin...
Benjamin : La St Valentin, on l'a surtout utilisée pour la métaphore. C'est tellement symbolique. "La St Valentin, ce n'est pas dans mes bras que tu la passeras", c'est une façon de dire qu'on n'a pas envie de s'engager, que ce sera très bref entre nous.
Vous avez changé votre fusil d'épaule depuis La Folie Douce. L'Amour, La Guerre et L'Imbécile est un disque de facture beaucoup plus pop. Les fondements restent les mêmes, mais la forme a pas mal évolué ?
Thomas : C'est vrai qu'on avait fait une tournée assez électrique et noisy et on avait envie de calme. On a enregistré à la campagne alors que le deuxième avait été enregistré dans les studios à Paris et Bruxelles, il avait donc quelque chose de très urbain, très électrique. Celui-là est beaucoup plus apaisé. Après, c'est aussi une question de moment. On était calmes et sereins au moment de l'enregistrer. Mais quand on les joue en live, les morceaux sont plus rock. Même si les morceaux sont calmes, on aime bien amener un peu de tempête.
Benjamin : Le premier et le deuxième album étaient déjà très différents. On aime bien le changement. Et puis ça correspond aux chansons.
Donc cette évolution est le fruit des nouvelles compositions, des conditions d'enregistrement et de votre état d'esprit du moment ?
Thomas : Oui, il y a les chansons qui nous ont amenées vers ça, il y avait aussi l'impression qu'avec La Folie Douce, on avait dit ce qu'on avait à dire, donc on n'avait pas envie de refaire ce qu'on avait déjà fait. Donc quelque chose de plus folk, plus pop, c'était un peu nouveau.
Dans les deux premiers albums, il y a quand même des chansons qui appellent cette évolution : "Les Calanques De Cassis" ou encore "La Vie à 2" ?
Benjamin : Oui, c'est vrai, mais même si les trois disques sont différents, il y a une cohérence. Mais on essaie de prendre des voies différentes pour ne pas se répéter.
Comme vous l'avez dit, cet album est plus léger, et on y retrouve des touches de piano, beaucoup de guitares acoustiques, des chansons down tempo. Est-ce que ça vous a posé de nouveaux problèmes en terme d'enregistrement ou d'arrangements ?
Thomas : On n'a pas vraiment eu de problèmes, les arrangements sont venus un peu d'eux-même. Le son est venu naturellement aussi. On a enregistré l'album avec Antoine Gaillet, qui a aussi produit le dernier Mademoiselle K et qui avait mixé La Folie Douce. On s'entend super bien avec lui, c'est un copain, la collaboration s'est passée très naturellement. Quand on enregistrait, on avait un peu l'impression de faire de la cuisine à la maison entre potes.
Benjamin : Il fallait une grosse entente parce qu'on n'enregistrait pas dans un studio mais dans une maison. On vit dedans, on enregistre dedans, on dort entre trois guitares... On ne pouvait pas le faire avec n'importe qui. Et puis on était déjà convaincu parce qu'il avait fait sur La Folie Douce. Après il fallait d'autres choses, des qualités humaines, et il avait tout ça.
Thomas : Bon, par contre il ne se lave pas, c'est son seul défaut...
Benjamin : Mais nous non plus, donc ça allait ! (rires)
Le titre "La Folie Douce" représentait bien l'album. Pour ce nouveau, ça fait très Sergio Leone, L'Amour, La Guerre et L'Imbécile ?
Benjamin : Le titre est voulu bien sûr, mais au-delà du fait que c'était une chanson qu'on voulait mettre en avant dans l'album, ces trois mots avaient quelque chose qui symbolisait bien le disque. Il y a beaucoup de chansons d'amour, la guerre parce que c'est toujours une notion sous-jacente, surtout dans les chansons d'amour, et puis l'imbécile ce n'est pas à prendre au sens littéral. Ce disque est assez introspectif et en général le premier truc qui vient quand on regarde derrière soi, ce ne sont pas nos réussites mais plutôt les conneries qu'on a pu faire.
C'est vrai que les textes sont très personnels. Il y a une bonne habitude chez Elista : les paroles sont très bien écrites. Ils sont ici encore plus que par le passé emprunts de désenchantement. Ils portent un regard désabusé sur le monde, et notamment les relations amoureuses...
Benjamin : L'axe, c'est l'attachement, et c'est quelque chose de difficile, j'ai l'impression qu'il y a de moins en moins de couples qui durent. Pour les jeunes générations, l'investissement est quelque chose de compliqué, le rapport a changé, on est très loin de la génération de nos parents et grands-parents pour qui c'était une ligne directe. Il y a aussi une chanson dans le disque qui s'appelle "Le Royaume Des Cieux" qui fait écho à la difficulté de se situer dans le monde. Elle aussi est de plus en plus compliquée, et ça rend plus difficile la façon de se situer par rapport aux autres.
Elista a toujours eu une facilité pour trouver des mélodies et des refrains accrocheurs. Est-ce le point de départ des chansons ou pas forcément ?
Thomas : Non, ce sont des trucs qu'on achète sur internet en fait (rires).
Benjamin : On aime bien les trucs efficaces, je pense que même si on ne le dit forcément, tout le monde aime ce qui est efficace. Après, c'est la définition de l'efficacité qui varie d'une personne à une autre. Nous, on aime bien qu'il y ait une grosse cohésion entre les textes et la musique, on n'a pas envie qu'ils soient jugés indépendamment l'un de l'autre. C'est vrai qu'on recherche l'efficacité, on a envie que ça marche.
C'est efficace sans qu'il y ait non plus de grosses ficelles...
Benjamin : Non, il n'y a pas de réflexion en tant que single. L'idée, c'est que quel que soit le morceau, qu'il passe en radio ou pas, on aime que ce soit efficace. Je pense aux groupes que j'écoutais plus jeunes, Pixies, Cure, Dominique A, ou le premier Miossec, ils ne passaient pas forcément en radio, mais il y a une vraie efficacité dans leurs chansons. C'est quelque chose qui nous a marqué et qui nous plaît, c'est ce qui fait qu'on réécoute encore ces chansons.
Tout à l'heure, vous disiez que l'enregistrement de l'album a été plutôt simple. Qu'est-ce qui vous a posé le plus de difficultés durant tout le processus de création ? Les compositions, l'enregistrement, le mixage ?
Thomas : Non, tout a été simple. Le plus difficile a été de sortir ce disque.
Problème de maison de disque ?
Thomas : Oui...
Benjamin : On voulait notre indépendance sur ce disque.
Thomas : On a voulu monter notre maison d'édition, notre label, et après il a fallu trouver des gens qui avaient confiance en notre projet et qui voulaient le sortir.
Benjamin : Ce qui était long, c'était de mettre les choses sur pied et de trouver le partenaire idéal. C'est de plus en plus long, on n'est pas une exception. On ne voulait plus dépendre du système de maisons de disque qui est devenu très bordélique. On voulait pouvoir avancer seuls, au moins en amont : gérer l'enregistrement, être en autonomie à ce niveau-là. Et ça prend du temps.
C'est marrant parce qu'on a interviewé les Hushpuppies la semaine dernière, et ils ont exactement le même discours que vous.
Benjamin : Et en plus, ce sont des copains. Non, mais c'est logique que tout le monde aille vers ça. C'est tellement chiant de dépendre de gens qui ne savent même pas ce qu'ils feront le lendemain.
Thomas : Leur vie ne dépend pas de ton album, ils sont payés à la fin du mois quoi qu'il arrive. C'est compliqué d'être représenté par des gens qui se foutent de ce qui peut t'arriver. Donc autant se gérer nous-même, prendre des risques et des décisions compliquées, quitte à se planter.
Y a-t-il des artistes que vous avez écouté pendant l'enregistrement de l'album qui vous ont marqué et qui ont influencé le disque ?
Thomas : On a pas mal écouté Road To Rouen de Supergrass, The Coral...
Benjamin : McCartney, Hal, Lemonheads... En amont, j'écoutais Brel alors que sur La Folie Douce, c'était plutôt Gainsbourg. Les Années Sombres de Mano Solo, le premier Miossec. Brel et Mano Solo, ça m'intéressait parce que c'est un truc qui vient des tripes. Comme le disque est introspectif, je cherchais le moyen de dire les choses sans faire simplet.
L'Amour, La Guerre et L'Imbécile se rapproche pas mal de ce que faisaient Les Innocents. C'est une influence revendiquée ?
Benjamin : On nous l'a déjà dit. Non, ça ne nous surprend pas. L'image des Innocents était assez champêtre, très pop. J'aime bien les Innocents, Nataf a un sacré talent qui n'est plus à démontrer. Mais ce n'est pas spécialement ce qu'on écoutait, ce n'est pas volontaire. Mais ce n'est pas non plus déshonorant.
Actuellement, comment vous situeriez-vous sur la scène rock française ?
Benjamin : C'est très dur... Je sais de qui on est à peu près les héritiers, mais c'était il y a déjà longtemps. Au premier album, on était plutôt l'héritage de Miossec, Dominique A, etc., toute la scène "nouvelle chanson française". Quand les gens démarrent avec du rock, on les met dans la case Noir Désir. Après, je suis incapable de te dire où on se situe actuellement. Quand on a commencé, on ne savait pas qu'on faisait partie de la "scène rock". Plus on avance et plus on essaie de creuser un sillon qui nous ressemble. Mais les gens dont tu t'inspires ne sont pas forcément ceux dont on va te rapprocher, comme avec les Innocents par exemple. Sur La Folie Douce, je n'ai pas arrêté de bouffer Gainsbourg et du rap, personne ne nous a mis dans la famille "NTM et Serge Gainsbourg".
Thomas : Oui, c'est pour ça que j'allais dire qu'on est entre Stupeflip et Florent Pagny... (rires)
Benjamin : Donc en fait, on ne sait pas trop... Bashung aussi a vachement compté, mais est-ce que ce sont les gens qui comptent qui permettent de te situer ? Je ne sais pas... Et puis c'est de plus en plus difficile parce que les influences sont de plus en plus éclatées. Et puis surtout quand on parle d'influences en musique, ça ne concerne pas tant que ça la scène française. Pour La Folie Douce, on a écouté Kasabian en boucle, là c'était The Coral et Supergrass. On essaie de mélanger tout ce qu'on aime, et ça concerne beaucoup de groupes anglo-saxons. Il y a une petite injustice sur la scène française : à partir du moment où les paroles sont en français, on les rapproche automatiquement de groupes français style Noir Désir. On n'est pas trop concernés par ça parce qu'on n'est pas trop bloqués sur le rock, mais je trouve ça un peu dur. Je ne pense pas que tous les groupes de rock français écoutent Noir Désir en boucle et cherchent à s'en rapprocher.
Il y a aussi le problème de groupes à qui on impose le français pour pouvoir passer à la radio ?
Benjamin : Je crois que ce n'est plus valable. Le truc s'est retourné de manière hallucinante parce que les groupes français qui marchent le mieux chantent en anglais. Et plus ça va, moins tu as de groupes français qui chantent en français. Donc la maison de disque qui va demander à un mec de chanter en français, ce n'est plus le cas, c'est fini. On a des exemples dans notre entourage, les mecs de Soma par exemple : la maison de disque se foutait royalement qu'ils chantent en français ou pas. Il y a 5 ou 10 ans ça se serait sûrement passé autrement, mais aujourd'hui le tabou est tombé. Il n'y a qu'à regarder Phoenix qui raffle tout chez les Américains, c'est hallucinant, tout est dit. Cocoon, The Do... La scène française est maintenant très anglophone.
C'est vrai que l'influence anglo-saxone se ressent plus qu'au début des années 2000.
Benjamin : Oui, mais c'est le paradoxe dont je te parlais tout à l'heure : elle se ressent plus mais je ne pense pas qu'elle soit plus présente. Les mecs chantent plus en anglais aujourd'hui, mais ça ne veut pas dire que quand ils chantaient en français, ils voulaient faire un truc franchouillard. Ils voulaient juste faire dans le francophone, mais avec des influences anglaises. C'est un mystère. Il y a un mystère musicalement autour de la langue française.
On dit souvent que c'est plus difficile de chanter du rock en français.
Benjamin : Je ne sais pas. Chacun fait naturellement, avec ce qui vient. Après on a déjà entendu des conneries, des groupes qui disaient "le français, ce n'est pas la langue du rock", là ça devient complètement dingue de dire un truc aussi con.
Y a-t-il des groupes qui vous ont vraiment bluffés dernièrement ?
Benjamin : Putain, il y en a plein... TV On The Radio, Grizzly Bear...
Thomas : Arctic Monkeys...
Benjamin : Last Shaddow Puppets, c'est vachement bien. Sinon dernièrement j'ai acheté pas mal de trucs... Le Agnès Obel est super joli, Tallest Man On Earth, le dernier Kanye West, Funeral Party c'est pas mal du tout, ça tape sa mère. Wolf Parade aussi , je trouve ça terrible.
Thomas : Black Keys...
Benjamin : Là on attend le Dodos, parce que Thomas adore le premier, moi j'adore le deuxième...
Avec un "s" ou avec un "z", le dodo ?
Thomas : Avec un "s".
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