Parallèlement à la parution de ses nouvelles inédites publiées à titre posthume, "Le petit oiseau va sortir", les Editions Grasset publient "Barbe-Bleue" la version française d'un des derniers romans d'un auteur américain atypique de la Beat Generation, Kurt Vonnegut, paru en 1987.
Ce roman est présenté comme l'autobiographie d'un personnage fictif, peintre raté auteur de tableaux qui se sont délités qui a, semble-t-il, cependant raté le coche de l'art conceptuel avec ses toiles involontairement "évolutives", qui est devenu avec succès marchand de tableaux, qui permettrait à l'auteur de s'épancher sur les turpitudes du marché de l'art, ainsi que ce dernier l'affirme dans sa note liminaire.
Certes, il est beaucoup question d'art, et plus précisément d'art abstrait, Kurt Vonnegut ayant côtoyé les grands protagonistes de l'expressionnisme abstrait des années 50, mais quel rapport alors avec Barbe-Bleue ?
Kurt Vonnegut brouille les pistes avec ce titre qui laisse accroire à une déclinaison nouvelle du conte populaire vulgarisé au 17ème siècle par Charles Perrault. Car quelle que soit la signification moralisatrice ou judéo-chrétienne supposée de ce dernier, de la curiosité punie au devoir d'obéissance de la femme en passant par la femme vecteur du péché originel, les canons du mariage heureux et autres, les points communs sont rares et non significatifs.
En effet, si son personnage n'est pas doté d'une physique de playboy, il n'a attenté à la vie d'aucune de ses deux épouses. En revanche, il est vrai que, comme Barbe-Bleue interdisait l'accès de son cabinet des horreurs,
Rabo Karabekian
est connu pour avoir multicadenassé une vieille grange à patates.
Et voici que débarque, alors que, au soir de sa vie, il vient d'inscrire le mot "fin" à son autobiographie, non pas une nouvelle épouse, mais une curieuse, une veuve excentrique doublée d'un auteur de roman de gare à succès, répondant au prénom non anodin de Circé, qui s'avère envahissante et sans vergogne, s'installe dans sa maison et en inventorie le contenu jusqu'au moindre tiroir. Inutile de préciser quelle partie de la propriété lui résiste.
Et toute l'intrigue, prise en étau entre des flash-backs incessants dans la vie de Rabo Karabekian, qui entreprend de la raconter par le menu au lecteur, repose sur la révélation de son contenu qui constitue un instrument de résilience comme l'écriture pour le romancier.
Car avant de parvenir à cette connaissance, le lecteur aura suivi, dispensés sur un ton qui mêle cocasserie et gravité, "la vie et les oeuvres de Rabo Karabekian" qui présentent de vrais points communs avec celles de Kurt Vonnegut à commencer par le traumatisme de la guerre. |