On avait été conquis par l'album Memories of Björn Bolssen (2008), premier opus des autrichiens de Tupolev. On a surtout été déstabilise par leur second, Tower of Sparks. Avec un titre comme celui-ci, on aurait volontiers entendu le quatuor rajouter à leur musique quelques couches de guitares saturées et les vrombissements sourds d'une basse tenue par un barbu tatoué. Que nenni. Tout à l'inverse, Tupolev a rajouté de l'épure à l'épure, du silence au silence, et son nouvel album sonne surtout comme le dialogue serein d'un piano et d'une batterie, qu'habiteraient quelques réminiscences, discrètes mais essentielles, d'électronique et de violoncelle.
Soyons clair : musicalement, on est finalement certainement plus proche du Tord Gustavsen Trio que de n'importe quel groupe de rock. Si ce n'est que Tupolev aime à cultiver des atmosphères abstraites, évocatrices au possible, qui rappelleront à coup-sûr les compositions de non-groupes issus de l'univers de ce non-genre qu'est le post-rock (tel le cinématique Set the Fire to Flames, pour ne citer qu'un exemple).
L'approche rythmique elle aussi risque fort d'en désarmer plus d'un, et l'on ne saurait trop dire s'il faut y entendre l'expression d'un jazz particulièrement libre, quoique de tempo modéré, ou d'un math-rock passé aux quatre-vingt-huit touches.
Que l'on se rassure cependant : ce n'est pas parce que l'on n'arrive pas à mettre une étiquette sur cette musique qu'elle est inécoutable, bien au contraire. Si Tupolev s'autorise toutes les libertés, ce n'est jamais avec la gratuité des musiciens autistes et surdoués, mais avec l'appétit de ceux qui veulent donner à entendre une musique encore inouïe. A la façon, peut-être, dont le Novencento d'Alessandro Baricco se laisse porter par le roulis de son bateau lorsqu'on ne le rappelle pas à l'ordre : "Novecento, s’il te plaît, que les notes normales, d’accord ?". Et après tout, pourquoi ne pas la jouer, cette musique qui n'existe pas ? Pendant vingt-huit minutes d'un album improbable de concision, on n'en est peut-être pas si loin. |