Comédie de Dario Fo et Franca Rame, mise en scène de Bernard Pisani, avec Brigitte Lucas et Romain Mascagni.
Est-elle vraiment seule, cette femme ? Dans l'appartement où elle fait le ménage, un enfant pleure, son beau-frère lourdement handicapé l'appelle sans cesse, elle reçoit des appels téléphoniques de son mari, mais aussi d'un pervers qui l'importune.
Tout cela, elle l'explique par la fenêtre à sa voisine nouvellement arrivée dans l'immeuble. Elle lui explique aussi que son mari l'enferme, qu'il la frappe, que son beau-frère a la main baladeuse et qu'elle a eu un amant plus jeune qui lui a procuré le plaisir que son mari est incapable de lui donner.
Ses propos s’emmêlent, sont parfois incohérents, agressifs ou hystériques. Le spectateur finit par douter de la véracité de son récit. Raconte-t-elle sa vie ou ses angoisses et ses fantasmes ? Mais ce mélange de ton ironique, de violence, de descriptions sordides, de provocations finit par tourner à la farce, comme dans "Affreux, sales et méchants" d'Ettore Scola.
Dans le texte de Dario Fo et Francesca Rame, "Une femme seule", Marie incarne la femme italienne des années 70 dans le rôle d'une esclave domestique et sexuelle, mais Marie, plus fragile qu'elle ne paraît, plonge doucement dans la folie. Et puisqu'elle est seule en scène, les autres personnages n'existant qu'au travers de bruits, peut-être est-elle entièrement réfugiée dans le délire.
Brigitte Lucas interprète le rôle de Marie avec beaucoup de justesse et une belle présence. Marie parle, se confie, et, au fur à mesure du récit, Brigitte Lucas parvient à en transmettre les émotions fortes et contradictoires. Le texte oscille entre l'absurde et le sordide, Brigitte Lucas, toujours avec subtilité, parvient à trouver l'équilibre entre effroi, colère, tendresse et humour désabusé.
Le rythme imposé par la mise en scène de Bernard Pisani contribue à cette réussite. La parole s'accélère, Brigitte Lucas s'active sur la scène et ses déplacements se font aussi de plus en plus rapides et circulaires à mesure qu'elle révèle les détails de plus en plus intimes de son quotidien et de sa vie amoureuse.
La présence de Romain Mascagni sur scène, dans un rôle de bruiteur, est plus étonnante. Même si son travail d'accompagnement sonore est remarquable et contribue à créer l'atmosphère absurde dans laquelle la pièce finit par baigner, l'espace qu'il occupe avec son matériel sur la petite scène du Théâtre du Guichet Montparnasse semble lui donner plus de présence que nécessaire. La configuration du théâtre fait que ce "rôle" non-écrit détourne parfois l'attention spectateur du texte au profit du son.
Néanmoins, ce texte grinçant, interprété avec subtilité par une actrice débordant d'énergie, entraîne le spectateur dans une spirale vertigineuse où se mêlent dégoût, rire et émotion. |