L'icône
vivante
Patti Smith est de retour à Paris
!
Il est des concerts mythiques qu’il serait inconcevable de
rater. A l’instar du retour messianique de Morrissey en octobre
2002 à la Mutualité, celui de Patti Smith au Bataclan,
la divinité fondatrice du punk rock féminin, nommée
à juste titre "Pythie Smith" par Libé, en
fait partie. Parce que Patti Smith ce n’est pas rien.
Musicienne et poétesse, qui a eu envie de faire de la musique
en écoutant les Doors et de la poésie en lisant Rimbaud,
son univers personnel, sa musique sans concession, à la fois
ambitieuse et artisanale et son engagement politique avant gardiste
reste un exemple du genre et elle a ouvert aux femmes la voie du
punk et du rock, chasse gardée masculine des années
70. Elle est aussi une militante inconditionnelle de la paix
Quand le Bataclan ouvre ses portes à 19 h pour un concert
annoncé à 19h30, la file d’attente, blanchie
sous le harnais, n’est pas bien impressionnante et pourtant
il s’agit de concert à guichet fermé. Dans la
salle, le public arrive lentement, presque sagement.
Concert sans première partie, à 20h, le public se
manifeste timidement : quelques sifflets et quelques applaudissements
comme pour signaler sa présence. On est loin des hurlements
hystériques de public de teenagers. On sait bien qu’elle
est là et qu’elle va venir.
A 20h15, les roadies arrivent pour les derniers réglages.
Incroyable ! A croire qu’ils n’avaient pas le temps
de le faire depuis cet après-midi.Le temps semble bien long.
Chacun s’impatiente. Elle va pas jouer à la diva la
mémé se dit-on pour cacher l’anxiété
qui naît de l’attente, de la crainte d’être
déçu, qu’elle ne parte en sucette comme bon
nombre de vieux qui ont fait cette année leur come back.
20h30 elle arrive. A peine entrevu le bout de son nez qu’une
clameur s’amplifie et s’élève pour finir
en ovation !
Elle entre à l’aise, souriante, juvénile, un
tournesol à la main. Mince, androgyne, ses longs cheveux
dans les yeux, elles apparaît en veste noire, T shit logo
peace et jeans élimés. Les applaudissements crépitent,
n’en finissent pas et tournent à l’hommage. Elle
remercie simplement, se dit heureuse de ce retour, comme ça
sur le ton de la conversation, comme si elle nous avait quitté
hier, sans complaisance ni forfanterie.
Elle regarde la salle qui n’est pas encore dans la pénombre.
Son public est là, celui qui la suit depuis toujours. Ils
ont son âge ou presque. De grandes tonsures et de petites
calvities, quelques cheveux longs de baba-cools un peu momifiés
qui n’ont pas vu le temps passer, essentiellement, et curieusement,
des hommes et puis des femmes, des quadras venues entre copines
ou avec leur fille.
Que pense-t-elle en voyant son public ? Est-elle déçue
de la minorité de très jeunes ? Non , certainement
pas. Son public est là fidèle, trente ans après,
parce qu’elle n’a pas changé, les valeurs qui
ont donné du sens à sa vie perdurent et elle se bat
encore pour les mêmes idéaux.
Il n’en sera sans doute pas de même pour les groupes
rock garage qui cartonnent aujourd’hui. De toute façon
leur longévité dépasse rarement les doigts
d’une main et leur public, fast food-fast musique, ne sont
que des consommateurs éphémères adeptes du
zapping tous azimuts. On aime, on n’aime plus. Un peu comme
la différence entre l’avaleur de banane et le mangeur
d’oranges. Le premier mange la pulpe, jette la peau et c’est
fini. Quel mangeur d’oranges n’a pas semé une
fois au moins le pépin pour le regarder germer ? La différence
est là.
Bien que fragile et menue, Patti Smith est une bête de scène,
la scène lui appartient. Avec en toile de fond des projections
d’images politiques, kaléidoscopiques, ou new age,
sur lesquels se figent des portraits, ceux de Jim Morrisson, de
Fred Smith, de Gandhi et de Marlon Brando, entourés de très
bons musiciens dont les excellents et fidèles Jay
Dee Daugherty à la batterie et Lenny
Kaye à la guitare, qu’elle joue les derviches
tourneurs, qu’elle prenne la clarinette pour un morceau free
jazz expérimental, qu’elle chausse ses lunettes pour
lire un poème, qu’elle danse à la manière
d’un échassier, qu’elle remonte les manches de
son T shirt comme pour engager un corps à corps avec son
propre texte, qu’elle se rue sur sa guitare, qu’elle
lance des imprécations contre les businessmen ("Where
are the people ? Where are the musicians ? Fuck the businessmen
!") elle subjugue, elle
envoûte, elle hypnotise.
Sa présence scénique et sa voix brute et profonde,
de l’incantation au punk rock, de la ballade à la poésie,
du hurlement à la scansion apache, du chant au cri, de l'incantation
au râle ont transcendé le Bataclan.
Contrairement à sa presque légende, et n’en
déplaise à ses détracteurs, Patti Smith ne
chantera pas pieds nus malgré les tapis étalés
sur la scène et ne se répandra pas en lectures poétiques
même si elle nous parle de son concert à Charleville,
patrie du Voyant, et fait deux courtes lectures.
Elle dédie aussi ce concert à une amie disparue,
une française, dont le nom et les deux dates qui cernent
la vie s’affichent sur la toile de fond le temps d’une
chanson "Lizzy Mercier Descloux 1956-2004". Qui se souvient
de Lizzy Mercier Descloux, l'égérie du mouvement punk
français, dont la chanson "Qui a peur des gazelles"
?, tube du début des années 70, a regagné aujourd’hui
la boîte des nanars (*)?
C'est son panthéon comme écrivait PascalR dans sa
chronique du concert de Londres. Mais rien de mortifère là-dedans.
C’est bien de s’attacher la présence de ceux
qui ont donné un sens à votre vie, qu’ils soient
célèbres ou anonymes.
Et Patti Smith a sa place au panthéon universel de la musique.
Elle y figure déjà et ces applaudissements ininterrompus
ne sont pas ceux qui accompagnent la remise des prix hors concours
en remerciement des services rendus ou en récompense larmoyante
d’une carrière certes exceptionnelle mais défunte.
Ce sont ceux de remerciements pour une musique vivante qui sait
rester créative et authentique.
En rappel, elle nous offre un fabuleux "Gloria"
qui nous transporte, sans nostalgie, mais avec ravissement aux divines
années du rock.
Et elle quitte la scène avec sa fleur de tournesol, symbole
de la lumière spirituelle.
|