Comédie dramatique de de Jean-Claude Brisville, mise en scène de Diane Delmont, avec Piere Hentz et Yvon Lambert.
Célèbre pièce créée il y a une vingtaine d'années par Claude Rich et Claude Brasseur, adaptée sans grâce au cinéma, "Le souper" de Jean-Claude Brisville continue sa carrière, en tournée, dans cette nouvelle et brillante version.
Eté 1815. L'Etranger est dans Paris. Le peuple gronde. Le pouvoir est à ramasser. La France traverse une de ces crises qui forment sa légende.
En ce soir d'orage, le terrible Fouché, chef de la Police rencontre l'Habileté faite homme, Monseigneur de Talleyrand-Périgord, ministre du Roi et de l'Empereur, qui l'invite à souper.
A ces dîners, il faut une grande cuillère. L'esprit ne manque pas. La chère est excellente (Carême a officié) Après les politesses à faire, c'est le partenaire d'en face qu'il va falloir découper, pour en découvrir la farce. Juteux échanges. Rince-doigts pour la curée. Le Tiers-Etat, que la guillotine n'a pas totalement émancipé, a fort à faire face à une Noblesse qui sait aussi bien mourir que vivre.
Pour ce fauve échange entre ces deux monstres que seule une vieille civilisation peut enfanter, il fallait deux comédiens hors-normes et ils existent, sous la redingote et le jabot, incarnés, sifflants, redoutables, caustiques et léonins.
Pierre Hentz, sensible et terrible, enfant aguerri devenu chef du Renseignement, décacheteur des lettres de délation, s'empare de Fouché avec férocité, en arrache la chemise, la peau et les viscères et l'on observe le coeur d'un ministre de l'Intérieur empoisonné d'ambition et de désir de vengeance. Vision...intemporelle. Belle prestation, en tout cas, sans filet et sans effet rassurant: la bête est sous la lampe d'une salle de dissection.
Face à lui, Yvan Lambert, immense comédien, est Talleyrand, jusqu'à l'inquiétude, maintien de cobra, intelligence luciférienne, amour fanatique de la France et du Néant, car seule la France est visible, donc aimable. Sa dimension religieuse - il ne sert, comme l'Eglise, rien, ni personne, si ce n'est lui-même, lorsque la France a le bon goût de s'identifier à lui - Lambert la lui rend pourtant, avec une subtilité et une connaissance du personnage rares.
Spectacle jubilatoire et de haute volée, mis en scène avec justesse et élégance par Diane Delmont, ce "Souper" rencontre un triomphe partout où il passe, rendant aux Français leur histoire, leur goût du mot d'esprit et le souvenir de serviteurs redoutables mais fervents à leur patrie.
On rit, on s'émeut, on se délecte : la chère est bonne ! |