Réalisé par Rajko Grlic. ServieèCroatie-Slovénie. Comédie dramatique. Durée : 1h29. (Sortie le 11 mai 2011). Avec Miki Manojkovic, Bojan Navojec et Daria Lorenci.
À quelques jours du Festival de Cannes, si les films sont toujours aussi nombreux dans les starting blocks du mercredi, les bons ne sont pas beaucoup à s’élancer et l’on se contentera aujourd’hui d’évoquer "Juste entre nous".
L’oeuvre du réalisateur croate Rajko Grlic est en effet un travail fort estimable qui devrait plaire à ceux qui continuent de défendre les films de Pedro Almodovar et de Woody Allen.
Comme ses illustres devanciers, Grlic, malgré l’absence suspecte de voyelles à son nom, nourrit l’écran d’une fiction bavarde dans laquelle des personnages bien dessinés, bien campés par des acteurs talentueux et sympathiques, s’évertuent à faire fonctionner un scénario qu’on pourrait qualifier de "combinatoire". Pendant l’heure et demie où l’on va les fréquenter, les uns vont aller et venir, aimer ou ne plus aimer, avoir un cancer ou faire l’amour, se fâcher ou se réconcilier, pendant que les autres feront strictement le contraire.
En clair, Grlic nous balade dans Zagreb comme Almodovar dans Madrid ou Woody Allen dans New York, Barcelone, Londres ou Paris. On y rencontre d’ailleurs strictement les mêmes personnages de la haute moyenne bourgeoisie, composée d’hommes d’affaires fils d’artistes, ou d’artistes fils d’hommes d’affaire, de libraires, de pharmaciennes, d’adolescents difficiles adeptes de piercing ou de jeux électroniques.
On pourra selon les cas ajouter des galeristes et des publicitaires, des psychanalystes ou des universitaires renommés mais on sera toujours en territoire connu puisqu’ils circuleront tous dans les mêmes berlines allemandes et s’enfonceront dans les mêmes canapés en cuir pour tapoter sur des portables aux mêmes mille fonctions et boire le même nectar bordelais.
En flânant dans le Zagreb moderne, chic et branché de Rajko Grlic, on a sous les yeux un portrait pas méchamment complaisant et pas intentionnellement empathique de la classe dominante qu’on voit désormais dans presque tous les films de la planète.
Choral, de bonne humeur, emmené avec la belle nonchalance de Miki Manojlovic (attendant sans doute que Kusturica se souvienne de lui), "Juste entre nous" est le prototype réussi d’un cinéma qui se refuse à utiliser l’arme facile de la critique sociale quand il décrit les "profiteurs du système". Un cinéma qui sait avantageusement sérier les problèmes sociétaux : l’adultère, le démon de midi-minuit, les problèmes de cœur et d’existence seront l’apanage des classes supérieures ; la désespérance, l’aigreur raciste, la confrontation avec la mondialisation, celui des classes populaires.
Les critiques archaïques diront que ce cinéma néo-bourgeois cache le réel sous sa construction plaisante et alambiquée. Les autres, plus terre à terre, trouveront qu’il est le parfait reflet d’un certain public urbain, éduqué, avide de découvrir l’altérité surtout quand l’autre, qu’il habite Melbourne, Tel Aviv, Téhéran ou Séoul, partage son mode de vie.
Il faut le redire, au lieu d’attendre la énième variation d’Almovodar sur la post-Movida et les dernières paresseuses permutations amoureuses d’Allen Woody, il est préférable de voir "Juste entre nous".
Ce sera la même chose à cent pour cent mais avec l’avantage de l’exotisme serbo-croate. |