On n’en aura jamais fini de parler de l’amour. La force du livre de Nicolas Grimaldi, Les Métamorphoses de l’amour, est de ne proposer aucune définition de ce sentiment, de ne proposer aucune théorie, mais d’amener plutôt le lecteur vers une multiplicité d’interprétations. Dans un style clair et classique, Grimaldi nous interroge sur la part de trouble et de mystère de l’amour, en le dissociant des clichés dont il est habituellement chargé.
Ce n’est pas dans ce livre qu’on trouvera les certitudes de l’optimisme ; la pensée de Grimaldi est plutôt celle de l’inquiétude. En cela il cherche à nous tenir éveillés : pour lui, l’objet de la philosophie est de nous apprendre à vivre dans l’inconnu. Il oppose ainsi aux consolations de la philosophie spéculative le doute de la philosophie existentielle. Et pour tenter d’élucider les expériences paradoxales issues du sentiment amoureux, il procède comme faisaient les cliniciens à la fin du XIXème siècle : en faisant comparaître des cas. Prendre dans la littérature des situations concrètes, observer les comportements, décrire les symptômes, faire des comparaisons, mettre en évidence les différences. Pour cela, l’auteur s’appuie essentiellement sur des romans de Simenon et les Journaux intimes de Benjamin Constant, avec par petites touches quelques retours à Stendhal. C’est une originalité de s’en être tenu à ces trois auteurs français, alors que la littérature universelle contient une infinité d’exemples. Hormis Simenon dont le style est souvent discutable (je veux dire : par sa neutralité de ton), Stendhal et Constant sont bien les deux grands psychologues du début du XIXème siècle – mais attention, ce mot de psychologie, tel que Nietzsche l’avait bien compris en son temps, n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’on en fait aujourd’hui.
Grimaldi nous rappelle ainsi la précarité nécessaire de l’existence, en précisant le rapport complexe que chacun entretient avec l’autre, selon l’expérience de sa propre subjectivité. Certaines phrases si belles de son livre sont des repères que le lecteur n’oubliera pas ; elles nous jettent dans un vertige. Par exemple sa réfutation de Pascal, lorsque celui-ci affirme qu’on n’aime jamais personne mais seulement des qualités : "La grande erreur pascalienne consiste à avoir fait de l’amour un corollaire ou un satellite de la connaissance, comme si c’était à cause de ce qu’on en connaissait qu’on eût jamais aimé quelqu’un". Grimaldi soutient au contraire qu’il n’existe en réalité aucune raison d’aimer. Non seulement les qualités interviennent peu dans l’amour, mais c’est moins la beauté qui nous touche chez l’autre que sa blessure, sa musicalité propre, ou l’intensité d’une attente.
C’est mon ami Iouri Watelle qui m’a fait découvrir Grimaldi, à l’occasion d’un récent séjour à Lyon. Il m’avait invité chez lui, m’honorant d’une hospitalité digne de ce nom. Iouri Watelle est le genre d’ami dont les conseils de lecture ne sont jamais à prendre à la légère. Sans lui je n’aurai par exemple jamais osé aborder l’œuvre d’Emmanuel Levinas, ce qui eût été une erreur impardonnable. Le premier livre de Grimaldi que j’ai lu est ainsi le Bref traité du désenchantement. Court traité au terme duquel on peut lire la phrase suivante, condensant vivement la pensée de ce philosophe de la désillusion : "Quoique l’attente soit la conscience même, presque tout pourtant serait surprise à qui, attendant toujours, cependant ne s’attendrait à rien". Evidemment il ne s’agit ici que d’amour, rien d’autre. |