Comédie dramatique de Rainer Verner Fassbinder, mise en scène de Olivia Cohen, avec Tatiana Bernard-Mettil, Sarah Perahim (ou Iris Bouvier), Aude Forget, Céline Berti, Barbara Lefebvre et Maja Unrug (ou Estelle Flom).
"Les larmes amères de Petra Von Kant", est une pièce de Rainer Verner Fassbinder, écrite en 1971. De cette époque, on retrouve la description d'un bourgeoisie intellectuelle, élitiste, dilapidant son argent, un monde dans lequel se côtoie luxe, alcool et facilité hédoniste. Un monde qui avait été mis en scène au cinéma dans la "Dolce Vita" par Federico Fellini, ou décrit par Diane Kurys dans le film "Sagan".
Dans la mise en scène d'Olivia Cohen, c'est d'abord la musique qui permet de situer l'époque, en faisant appel à quelques classiques connus de tous, un extrait du "Mépris" de Jean-Luc Godard, "My Funny Valentine" par Chet Baker ou "L'eau à la bouche" par Serge Gainsbourg.
L'héroïne de la pièce, Petra von Kant est une femme qui s'est construite en s'opposant à son mari. Sa réussite professionnelle lui permet de diriger sa destinée, et d'avoir un contrôle sur ceux qui l'entourent, puissance de l'argent, de la hiérarchie ou de l'image qu'elle confère à celles qui la côtoient. Lorsqu'elle rencontre Karin Thimm, toute l'argumentation donnée par Petra von Kant depuis le début de la pièce sur l'indépendance de la femme s'écroule.
On la voit alors chercher à manipuler et à dominer cette femme, issue d'une classe sociale inférieure, dont elle fait sa maîtresse. Pourtant Karin Thimm, jeune et opportuniste, joue aussi l'amour au point de faire perdre à Petra le contrôle qu'elle avait sur le monde qui l'entourait, en grande partie en raison de la jalousie qui naît lorsque Karin lui raconte sur ses nuits dans les bras d'hommes inconnus. Le discours de Petra se retourne contre elle. Son monde s'écroulera définitivement lorsque Karin la quittera pour rejoindre son mari, jadis abandonné, après avoir profité de l'aura que pouvait lui apporter Petra.
Par sa mise en scène, Olivia Cohen, parvient à extraire l'essentiel du texte de Fassbinder, c'est-à-dire se concentrer sur la passion en ce qu'elle a de destructeur par la perte de contrôle qu'elle opère. Si parfois on peut lui reprocher une symbolique un peu trop appuyée, en revanche sa direction d'acteurs est excellente. Il est étonnant de voir des actrices jeunes, jouer avec autant de conviction des rôles qui demandent pourtant une certaine maturité.
On saluera aussi l'homogénéité de niveau de jeu des actrices. Dans le rôle de Petra von Kant, Tatiana Bernard-Mettil passe de l'hyper-maîtrise d'elle-même à l'hystérie avec beaucoup de finesse. Interprète du personnage principal, elle parvient à s'effacer lorsque l'attention doit se concentrer sur ses partenaires.
Sarah Perahim joue d'un physique de très jeune femme pour accentuer la retenue de départ du personnage de Karin, avant de s'imposer face à Petra avec assurance. Dans le rôle muet, mais aussi inquiétant de perversité de Marlène, employée et souffre-douleur consentante de Petra, Aude Forget fait preuve d'une présence sans faille.
Quant aux trois autres actrices, Céline Berti dans le rôle de Sidonie, l'amie, Barbara Lefèbvre dans le rôle de la mère, et Maja Unrug dans celui de Gabrielle, la fille, leurs compositions sont solides et leurs apparitions jamais gratuites.
Si à la fin du spectacle, on entend "Ton héritage" de Benjamin Biolay, dont les paroles trouvent une résonance certaine par rapport au propos de Fassbinder, un autre morceau de l'album "la superbe" conviendrait tout autant pour sa description du rapport passionnel, "Miss catastrophe".
Ce spectacle est une excellente surprise à bien des égards, et en tout premier lieu pour l'interprétation talentueuse de l'ensemble de la troupe. |