Monologue dramatique écrite, mise en scène et interprété par Jean Hache avec la collaboration de Roland Hergault.
Jean Hache, grand comédien, a choisi d'évoquer la figure de Antonio Salieri passé à la postérité à cause d'une rumeur vraisemblablement infondée qui le soupçonnait d'avoir empoisonné Mozart par jalousie.
Jaloux, ce musicien italien, maître de Schubert et de Beethoven, directeur de la musique à la Cour de Vienne pendant près de deux décennies, dont l'inconscient collectif a gardé l'image d'un vieil homme ténébreux alors qu'il n'était l'aîné de Mozart, qui reste magnifié en enfant prodige, que de six années, l'était certainement mais la jalousie ne suffit pas à comprendre son destin ni à expliquer les tentatives de suicide qui l'ont amené à passer la fin de sa vie dans un asile d'aliénés.
Avec "Salieri, le mal aimé de Dieu", Jean Hache, qui incarne de manière saisissante un Salieri vieillissant en régime cellulaire, propose, à travers des soliloques exaltés, un éclairage plus complexe qui tient à la fois à la quête obsessionnelle d'exister et, suite à une mésestime de soi, au désespoir existentiel qui le rendra psychotique.
Orphelin d'extraction pauvre, Salieri n'a cessé de courir après l'amour et la reconnaissance. A l'amour parental absent, il a cherché un substitut auprès de celui qui est la source même d'amour, Dieu, qui l'a choyé jusqu'au jour où il lui a préféré Mozart. Il a cherché la reconnaissance à travers la gloire octroyée par les puissants en se faisant courtisan prêt à toutes les compromissions jusqu'au jour où Mozart a été plus admiré que lui.
De surcroît, il est victime d'une lucidité radicale : dès qu'il a vu Mozart, qu'il qualifie de monstre de foire, il décèle immédiatement ce qui relève de l'évidence, le génie dont lui, compositeur laborieux, bon faiseur d'oeuvres de commande, est dépourvu. Un génie qu'il admire, mais qui le nargue, un génie qui le conforte dans l'abandon de Dieu qu'il éprouve et un génie libre qui lui rappelle la médiocrité de son état de compositeur de cour.
Avec la complicité de Roland Hergault pour la mise en scène, qui a également conçu un bel habillage lumineux en clairs-obscurs et des intermèdes signés bien évidemment Mozart et Salieri, Jean Hache livre un portrait troublant qui interroge également la condition de l'art et de l'artiste. |