Le deuxième roman de Antonin Varenne, après l'excellent "Fakirs", publié dans la collection Chemins Nocturnes des Editions Viviane Hamy, porte un titre de fable : "Le Mur, le Kabyle et le marin".
Mais il s'agit d'une fable tragique qui emprunte le fleuve sanglant de la violence commanditée pour une descente aux enfers d'hommes ordinaires.
Le marin, c'est Pascal Vérini, fils d'ouvrier rital communiste, fauché en pleine jeunesse par la guerre d'Algérie. Pacifiste et insoumis, il fout en l'air sa vie à un mois de la fin de ses classes en désertant un entrainement, alors qu'il allait être maintenu en France.
Résultat : embarquement direct pour l'Algérie à destination d'une des unités qui besogne au pire du sale boulot et dont les initiales policées, "DOP" pour "dispositif opérationnel de protection" recouvrent la réalité plus prosaïque et plus atroce d'un centre de torture.
De quoi passer sans ménagement à l'âge d'homme ("la virilité est devenue une façade nécessaire pour tenir l'agression à distance : s'endurcir pour résister. Sans se rendre compte que l'endurcissement n'est plus que de façade").
Il y rencontre le Kabyle, Rachid, étudiant en lettres qui a pris le maquis, "qui n'a pas la sagesse, ce renoncement apparent qui alimente le mépris des brutes", et qui, après avoir été arrêté et torturé, reste au DOP en intégrant le rang des arabes supplétifs. Quelque chose, de l'ordre de la fraternité de coeur, se noue entre eux. Une matière riche tant pour un romancier et que pour un roman.
Mais par cet artifice littéraire induit par le pouvoir déique de la plume, Antonin Crozat fait intervenir un troisième homme qui, cinquante ans plus tard, alors que leurs chemins se sont séparés, jouera le rôle du destin pour que se croisent à nouveau leurs routes et dont l'activité lui permet une incursion dans un autre univers.
Car ce troisième homme, Le Mur, c'est le surnom de George Crozat, surnom qu'il doit à sa capacité d'encaisser les coups et qui a mené cet agent de police municipale sur les rings de boxe pour des matchs de série B catégorie poids lourd. Un mur physique, qui commence à ressentir l'effet des années, mais également psychique car il est difficile de comprendre ce qui se passe dans la tête cabossée de celui qui n'aime que la boxe et les putes payées avec ses cachets.
Antonin Varenne maîtrise avec succès cette hybridation entre la petite histoire des hommes emportés dans la tourmente de la guerre, qui, en l'espèce, est nourrie de l'histoire paternelle, et son désir de s'essayer à l'écriture pugilistique qui a titillé notamment les monstres de la littérature américaine fascinés par la boxe, "cette sauvagerie d'esthètes", tels Ernest Hemingway et Tennessee Williams, et dont le microcosme maculé de sueur, de sang et d'argent constitue un décor de choix pour les auteurs de roman noir comportementaliste.
C'est d'ailleurs dans ce registre et ce style qu'il officie avec cette histoire d'hommes solitaires, seule présence féminine, celle de la prostituée au grand coeur, et qui le situe dans la lignée des romanciers behaviouristes américains des années 30 et, pour une référence hexagonale, Jean-Patrick Manchette. Des figures tutélaires qui n'ont pas à rougir de sa prose. |