Dans sa collection Les cahiers rouges, les Editions Grasset procèdent à la réédition du "Brouillon pour un dictionnaire des amantes", paru en 1975, écrit par Monique Wittig et Sande Zeig.

Assurément un dictionnaire par sa structure, recension alphabétique de mots avec leur définition, mais un dictionnaire dédié consacré au répertoire des amantes.

Le mot "amante" étant par ailleurs entendu, non dans le sens courant qui lui est donné dans une société dont la norme de l'hétérosexualité dominante a influencé même le dictionnaire, c'est-à-dire celui de "personne qui éprouve un amour partagé pour quelqu'un de l'autre sexe", mais de "celle qui éprouve un violent désir pour une autre" en harmonie avec les préceptes de la poétesse grecque Sappho qui vivait à Lesbos.

En d'autres termes pour faire bref, un dictionnaire lesbien penserez-vous. Mais le raccourci, certes commode et explicite, et qui, inexorablement induit un sourire égrillard - tenant à la possible révélation d'une terminologie lesbienne croustillante et/ou salace - s'avère en l'espèce réducteur et propre à entraîner une lecture bien décevante.

A cet égard, il paraît impératif de s'attacher à la personnalité des auteures qui ne sont pas précisément des comiques-troupiers même si elles ne manquent pas d'humour.

Sande Zeig, réalisatrice et écrivaine américaine, a été la compagne de Monique Wittig, philosophe et romancière française, théoricienne féministe et lesbienne, qui fut l'une des fondatrices du "Mouvement de Libération des Femmes", membre des "Gouines rouges", premier groupe lesbien constitué à Paris, et des "Féministes Révolutionnaires".

Son oeuvre qui constitue aujourd'hui de fondement, notamment aux Etats-Unis, où elle s'était installée, aux théories de dépassement du genre où elle est devenue la figure tutélaire du courant queer, a, en son temps, marqué le mouvement féministe dont elle est une figure atypique.

Car elle prône un féminisme radical prenant la forme d'un lesbianisme politique en ce qu'il remet en cause le dogme hétérosexuel, qui s'oppose ainsi aux autres courants du féminisme qu'il s'agisse du féminisme existentialiste qui a intériorisé la norme sexuelle et voit en la femme le produit d'une culture (avec la fameuse sentence de Simone de Beauvoir "On ne naît pas femme on le devient"), du féminisme matérialiste ou du féminisme psychanalytique.

En effet, elle estime que le seul moyen pour échapper au clivage homme/femme programmé par l'histoire et/ou la culture qui aboutit inéluctablement à la société patriarcale et à l'esclavage de la femme passe par une troisième voie, celle de l'émergence d'un troisième type qui serait la lesbienne, terme entendu d'un point de vue politique. Ce qui ne manque pas, aujourd'hui encore, d'être perturbateur.

Dans cette ébauche de dictionnaire des amantes, elle procède à une réécriture du monde et de son histoire à travers le prisme de la femme, ou plus exactement de l'amante, qui serait directement issue des amazones et donc du culte des déesses-mère, culte consubstantiel à tous les mythes fondateurs de l'humanité.

Cela étant, ce dictionnaire, qui ne peut se satisfaire d'une lecture linéaire et alphabétique, et pour lequel il est recommandé de commencer par le mot "histoire", est également truffé de pépites composées aussi bien de plaisantes définitions imaginaires et ludiques que de références à redécouvrir.

Ainsi, par exemple, "goudou" est un terme d'affection que les amantes utilisent fréquemment entre elles depuis une célèbre chanson intitulée "Le goût doux que j'ai de vous". La découverte des Flying Lesbians qui sont les mères des Riot girrrls. Ou de l'expression en usage chez "Les petites marguerites" : "T'as pas les ovaires de faire ça !"