L’histoire se passe dans le Paris des années 20. Le vieux Faust vend son âme pour posséder Marguerite de la nuit. Il lui manquait la jeunesse, la vaillance du cœur, la force du corps. Il lui fallait alors rencontrer Monsieur Léon dans un café de Montmartre – monsieur Léon n’étant en fait que Méphistophélès, avide de posséder quant à lui de nouvelles âmes, par le contrat que l’on sait.
Pierre Mac Orlan transpose l’histoire de Faust au cœur d’un Montmartre mythique, et donc contemporain de l’écrivain puisque la nouvelle fut écrite en 1924, sans doute la plus belle période du XXème siècle − cette période et ce lieu ayant abrité un des plus importants mouvements avant-gardistes du XXème siècle : le dadaïsme. L’auteur parvient magnifiquement à nous faire sentir le charme de ce temps, dans une langue précise et un style nerveux. Sa façon de décrire l’objet de tentation de Faust peut par exemple donner le ton : "(…) une femme rousse aux cheveux courts, aux yeux violets, dont la robe verte paraissait fraîche comme une laitue". Quel écrivain aujourd’hui oserait une telle métaphore sans craindre le ridicule ? Mais là l’effet est saisissant : des yeux violets, une robe verte comme une laitue, et en relation la manifestation du désir d’un Faust impuissant.
Mais Faust comprendra vite que vendre son âme pour retrouver les plaisirs de la chair est un leurre : une fois le corps de Marguerite possédé, il lui restera à sauver son âme, cette âme dont "l’immortalité le dégoûtait". Méphistophélès lui laissera cette chance, en ajoutant à son contrat une clause particulière, que je laisse aux lecteurs le soin de découvrir. Marguerite de la nuit est surtout l’histoire d’une grande lâcheté : la lâcheté d’un homme n’assumant pas ses actes. C’est aussi le beau portrait d’une jeune femme se sacrifiant par amour, s’illusionnant sur cet amour.
Pierre Mac Orlan s’est livré vers la fin de sa vie à un autodafé, brûlant dans son jardin une partie de sa correspondance et de ses archives personnelles, afin de ne plus avoir de soucis posthumes. Ce fut aussi pour brouiller les pistes quant à son passé. Mais ce désir de disparition élocutoire était inutile : c’est tout entier dans ses livres qu’on le retrouve − sa mémoire, sa sensibilité, sa lucidité. |