Le Musée A.G. Poulain a souhaité consacrer sa monstration estivale à l'art animalier dont il détient un fonds important et auquel il consacre trois de ses salle d'exposition.
Situé à Vernon, à proximité de la Mecque impressionniste qu'est Giverny et qui fut le siège d'une colonie d'artistes, il a eu l'idée de se rapprocher d'un collectif d'artistes contemporains qui poursuit, dans cet esprit, la démarche entreprise dans les années 50 par les Peintres du Mantois.
Il s'agit du MACY, le Mouvement des Artistes Contemporains en Yvelines, qui rassemble une vingtaine d'artistes peintres, sculpteurs, céramistes, plasticiens et dessinateurs, à qui le musée a passé commande sur le thème de l'animal en s'inspirant des oeuvres détenues afin de proposer un regard contemporain sur les collections.
Comme l'indique Judith Cernagora, responsable de la médiation culturelle du musée, ils se sont saisis de ce thème "avec délectation, gravité et humour aussi, avec une envie de questionner l'animalité en y plongeant de tout leur art et leur sensibilité" et ont exploré non seulement les salles d'exposition mais également les réserves pour travailler en vraie résonance avec les oeuvres.
L'abondance et la diversité résultant de cet enthousiasme se concrétise par une superbe exposition, "Silence de bêtes - Propos d'artistes" qui investit le moindre recoin du magnifique hôtel particulier qui abrite le musée.
Dans une scénographie claire et accompagnée du propos de l'artiste, chaque oeuvre révèle à travers le silence de ces bêtes élues non seulement le regard sur le monde de leur créateur mais raconte également une histoire.
Un bestiaire enchanté et enchanteur
Dès l'entrée, le visiteur a l'esprit en éveil car deux géantes limaces jaunes grimpent sur le mur sous le regard curieux d'une gargouille penchée à la fenêtre.
Le sculpteur Lou Perdu aime l'entre deux mondes et la surdimensionnalité pour rappeler à l'homme que le monde n'a pas été créé à son échelle.
Entre ciel et terre pour les limaces, en l'espèce les "Jumelles" en résine et "Entre deux eaux" pour les animaux fabuleux et éphémères que sont les tétards en terre cuite qu'elle présente en flotille.
Dérision, poésie et symbolique guident la plasticienne céramiste Bernadette Wiener pour inventer ses objets-sculptures.
En l'occurrence, elle a puisé dans deux de ses univers, celui des "Fatrasies", qui s'inspire de l'iconographie médiévale pour créer un bestiaire qui interroge notamment sur l'animalité et la beauté et la laideur et celui des "Cages aux Célestes" dans lesquelles jouant avec le symbole et le volume de l'éléphant qu'elle met en scène parfois de manière inattendue, s'envolant d'une cage à oiseaux ou guette au centre d'une toile d'araignée ("Quatuor de célestes" et "Fatrasies sur colonnes")
L'animal peut être véhicule de méditation pour le peintre figuratif ou devenir exercice de style pour le peintre abstrait.
Ainsi Bernard Coffin peintre, graveur et pastelliste, est un infatigable contemplateur et chasseur d'oiseaux.
Mais c'est au fusain, à la plume ou au pinceau qu'il traque les oiseaux des bosquets au fusain, les alouettes dans les jardins enneigés ou les poules d'eau de Giverny.
Mary Faure, artiste plasticienne, a relevé le défi en utilisant sa technique des traces et empreintes d'objets.
Ainsi a-t-elle réalisé de bien étonnants portraits anthropomorphes à l'encre qui font écho au chameau rieur de Horace Vernet et son objet de référence, l'oreiller "producteur de paroles dites non dites" pour les mettre en cage.
De même pour le peintre Jean-Louis Fassi, qui oeuvre dans le registre de l'expressionnisme abstrait, dont deux des oeuvres encadrent une des grandes sculptures en pâte à papier armé de Marc Touret, "Lazare Lapin" qui a été retenu comme visuel pour l'exposition.
Des sculptures drolatiques qui mettent en scène un drôle de bonhomme à la Tati qui prend la mer à dos de femme ("La grande sirène") et quand il est amoureux, il vole à dos d'éléphant à roulettes ("Le grand amour").
A cet égard, les oeuvres pleines de fraîcheur, de gaité et d'humour poétique de la sculptrice et plasticienne Pascale Proffit scandent judicieusement le parcours de l'exposition qu'il s'agisse d'oiseaux dans leur premier vol ("Douceur printanière"), des poissons qui flottent dans le jardin ("Silences") ou les délicieuses souris des "Fantaisies et galipettes".
Et dans la salle d'archéologie, elle a caché un drôle de nid ("L'attente de la promise"). C'est dans cette salle que sont également disposées les natures mortes du plasticien Bernard Blaise réalisées sur des formes en grillage à maille hexagonale dans une approche conceptuelle arte povera.
Le cheval et son humanité de forme en mouvement dans l'espace a inspiré les chevaux "fauves" du peintre Dominique Fillières et les chevaux puissants du sculpteur Robert Boudinet.
Dans le cabinet graphique, avec sa série des moutons au pastel, Isabelle Roby, peintre et graveur, a pris au mot le Petit Prince.
Et Etienne Prat réinvente un bestiaire médiéval enluminé avec des estampes numériques qui racontent une bien singulière "Histoire de l'ard" avec un facétieux porcinet qui s'est invité dans les grandes oeuvres emblématiques.
Il s'est également amusé avec un malicieux jeu de résonances avec trois dessins représentant la pie étonnée face à sa représentation sculpturale par Jean-François Flamant, la vache étonnée devant sa consoeur, sur tréteau et sabots retournés par John Killy et le mouton très étonné face au vide d'une oeuvre invisible.
Peintre de la nature, il présente également, et entre autres, un multityque ("Ah, les vaches !"), évocation de son enfance à travers des portraits de vaches et un chat endormi, et un superbe travail de correspondance picturale et mnésique entre deux oeuvres par le médium de la corneille ("Corvus").
Insectes, papillons et oiseaux ont particulièrement inspiré les artistes sollicités.
Ainsi, les papillons cousus de papier de Gaëlle Querrec virevoltent dans l'escalier et Muriel Baumgartner a joué la brodeuse entomologiste pour confectionner son cabinet de curiosité imaginaire de fil au poil à partir de fragments d'histoires sur vieux papiers manuscrits.
Le peintre cubo-figuratif Jacques Babierz, s'il aime la nature heureuse avec ses "Entre-chats" et ses drôle d'oiseaux, rappelle les menaces qui pèsent sur la faune ("Oiseau déplié", "Le piège", "Marée noire") comme Marianne Jongking avec ses éléphants arrachés de la savane pour l'enclos du cirque.
Incontournable tandem que celui du chat et de l'oiseau que Marielle Lipmann décline sur le thème de l'évasion en trio expectatif
Comme celui du chat et de la souris qu'a traité le sculpteur Jacques Nam et qui est présenté avec la "Veille au chat" du peintre néocubiste Serge Mouly qui ne manque pas d'humour avec sa "Vache aztèque" ou le couple de "Le cochon tout est bon".
Sculpteur qui a développé une pratique picturale et plastique à base de cire d’abeille, Véronique Roca, inspirée par le "Marabout penché sans aile" de Guido Righetti, s'est fort logiquement emparé du mythe d'Icare. Icare ou la volonté de se métamorphoser en oiseau.
Car la métamorphose participe de fascination de l'homme pour l'animal. La métamorphose animale a donc motivé le peintre Lydie Ribac ("Curieuse évolution", "Barcoding") et William Lambert avec ses bêtes à cornes et Gisèle Buffet dont les "étranges animaux" de tissus évoquent autant les doudous d'enfants que des vêtements pour lilliputiens.
Ce tour d'horizon finit par où l'exposition commence avec l'artiste plasticienne Ulrike Vidalain qui travaille sur les grands mythes fondateurs de l'humanité comme source de réflexion et d'enseignement pour l'avenir qu'elle tisse avec ses expériences personnelles.
Elle présente une installation sublime, "La langue des oiseaux" nourrie de la mythologie nordique.
Cette langue des oiseaux est celle des deux corbeaux qui parcourent le monde pour rapporter les nouvelles à leur maître Odin, dieu du savoir, de la victoire et de la mort qu'elle transfigure par une métaphore sur la possible élévation de l'esprit pour surmonter le tragique du monde.
|