Si je vous dis "crêpes à l’eau", sans être un Reblochon, vous penserez aux fins de mois difficiles, aux pâtes à tous les repas et aux achats à crédits (puisque les crêpes se font au lait, à la bière…). Donc, quand Sandrine Beau et Sandrine Kao écrivent et illustrent un livre qu’elles nomment Des crêpes à l’eau, estampillé "littérature de jeunesse", vous n’hésiterez pas deux secondes pour comprendre le sujet traité. Et vous aurez raison.
Quand la première Sandrine illustre le roman de dessins fins et clairs, la deuxième Sandrine aborde avec beaucoup de pudeur et de tendresse ce sujet de société malheureusement banal : les mères célibataires. Un papa parti, une petite Solène vivant seule avec sa maman dans une cité peu favorisante. Une vie simple, rythmée d’opérations chèque-rikiki (regarder en bas des rayons pour les produits les moins chers), de crêpes à l’eau et de visite d’huissier. Sauf que les adultes peuvent bien cacher leur misère et leurs souffrances aux enfants, ces derniers savent quand ça ne va pas, et savent aussi le cacher. Ce que fait Solène, elle soutient et protège sa maman avec un amour aveugle, autant que sa maman essaie de protéger sa fille.
Jusqu’au jour où Solène aux pantalons recyclés et aux chaussures en plastoc rencontre Zoé. Zoé qui vit seule avec son papa Basile depuis le décès de sa maman. Débordant de tristesse et de solitude, Solène déballe tout à Zoé, puis à Basile, adulte chez les adultes, qui connait la loi impitoyable des quittances de loyers et des factures à payer. Et qui connait aussi les organismes d’aides sociaux.
La rencontre de ces deux parents se fait autour d’un monumental couscous bondé de légumes espagnols bios, et c’est le début de la fin des ennuis. Comme quoi, la bouffe a beaucoup à voir avec la vie. Puisque Zoé commence aux crêpes à l’eau et finit avec du couscous dégoulinant de harissa et de semoule patiemment égrenée à la main… Miam.
Et puisque c’est un "livre-support pour aborder un sujet-actuel", il y a la petite morale qui va bien à la fin : quand ça va pas, faut en parler. J’oserai ajouter, en parler aux bonnes personnes, imagine ce qui se serait passé si Zoé avait décider de parler de tout ça à la directrice de son école, et que cette directrice était par mégarde peu compréhensive, elle aurait fini à la DDASS.
A part ça, l’histoire traite pudiquement de la difficulté à joindre les deux bouts, des fragilités familiales, de la séparation, et de l’amitié. Entre les lignes, on sent un regard attendri, mais également le courage dont font preuve ces familles "défavorisées", parce qu’on ne prête qu’aux riches. |