Pour une fois, je vais vous dire pourquoi j’ai choisi ce roman : Petit Ange, parce que celui qui m’a brisé le cœur m’appelait exactement de la même façon. C’était à la fois tendre et doux, et sacrément romantique (le surnom, pas le brisage). J’ai donc attrapé ce sixième roman d’Alain Jessua le cœur tremblant. Et vu qu’il est également réalisateur, producteur et scénariste, la promesse était de taille.
C’est l’histoire d’Etienne, un homme qui a passé la coquetterie de cacher son âge, il a 75 ans, pas de femme, pas d’enfant, un super pote Bernard, un boulot de critique gastronomique qui l’invite à toutes les tables de France et de Navarre. Le livre débute dans le train, quand il croise une femme sublime, il se souvient de son passé de tombeur, la suit et croise son propre visage dans un reflet : il se trouve subitement vieux et moche, seul, triste, sans famille, incapable d’aimer et d’être aimé. Il retourne s’asseoir près de son super pote et déprimerait à petit feu tout le long du trajet si ce dernier n’avait pas l’idée du siècle : retrouver cette belle inconnue.
Ce qu’il fait rapidement. Il embauche Clélia pour jouer la belle inconnue auprès d’Etienne. Elle s’installe dans un appartement non loin de chez Etienne et joue le rôle de la femme rencontrée au hasard d’un carrefour. Vous vous dites peut-être comme moi : mais quelle histoire tordue ! Quel personne se prétendant meilleur ami ferait une chose pareille ? Pourquoi entretenir une telle illusion auprès d’une personne qu’on prend pour un super pote ? A croire que j’ai encore beaucoup à apprendre de la vie en générale, parce que ce que fait Bernard, je ne suis pas sûre que mes amis à moi le feraient.
Etienne est mourant. Bernard le sait et ne lui dit pas. Il lui prescrit un traitement anti-douleur et de l’amour, sous les traits de Clélia. Progressivement, elle lui livre ses secrets, ses rêves et ses espoirs. Et l’histoire prend un détour (pas si inattendu que ça, elle a 30 ans de moins et une fille) ; Etienne devient un véritable super-papa pour sa fille, le petit ange. Etienne sait qu’il doit la présence de Clélia à Bernard, mais il ne lui dit pas. Bernard sait qu’Etienne a compris, ils n’en parlent qu’à la presque toute fin, à mots couverts.
C’est un roman où l’auteur ne s’implique pas, tout est à la troisième personne (probable déformation professionnelle d’un réalisateur qui regarde évoluer des personnages, sans s’impliquer dans le scénario ?).
Ce qui paraissait à première vue du papier gaspillé, parce que l’histoire tient en quelques lignes, se révèle être un formidable roman sur l’amitié, la vraie, la seule, la pure, la dure. Celle qui fait se sacrifier, celle qui pardonne, celle qui sait et qui aime toujours. Celle qui comprend l’autre, celle qui souffre et aime sans concession, celle qui fait ce qui est juste sans demander l’avis de l’autre, quitte à se tromper, quitte à se prendre une ronflée du tonnerre, pour ensuite se pardonner simplement.
Ce qui ressemblait au départ au parti socialiste, avec des promesses non-tenues et un contenu archi-creux est finalement une très belle histoire. Mais le problème avec les jolies histoires du commun des mortels, ancrées dans le réel comme l’est Petit Ange, c’est qu’elles font se remettre en question. Ici : jusqu’où irez-vous pour vos amis ? Jusqu’où vos amis iraient pour vous ? Franchement, tout de suite, là, j’ai un peu les boules. |