Comédie de Marivaux, mise en scène Christian Huitorel, avec Mathias Casartelli, Caroline Frossard, Christian Huitorel, Cédrick Lanoë et Nathalie Veneau.
Après un naufrage, deux aristocrates, Iphicrate et Cléanthis, et leurs domestiques, Arlequin et Euphrosine, échouent sur une île étrange qui s'avère être un centre de thérapie sociale dirigé manu militari par l'autoritaire Trivelin dans lequel, par l'inversion des rôles, chacun doit prendre la mesure de la condition de l'autre afin de vivre en bon entendement.
Tel est l'argument de "L'île des esclaves", pièce courte appartenant non au corpus des comédies sur la métaphysique de l'amour de Marivaux mais à celui de ses apologues sur l'ordre moral visant à une thérapie morale avant la lettre.
Dans cette comédie philosphico-morale qui est moins progressiste qu'il n'y paraît, Marivaux, se gardant bien d'adapter une position pré-marxiste, ne prône pas la suppression des classes mais bien son maintien.
Et leur pérennité doit être assurée non par l'esclavage imposé mais par la servitude volontaire résultant de la tempérance des maîtres, dont le comportement, appuyé sur le coeur, la vertu et la raison, ne doit pas générer un sentiment d'injustice, et, obtenu par l'instrument de réformation de l'esprit qu'est l'inversion temporaire des rôles suscitant le pardon des offenses, de l'assentiment ancillaire au déterminisme social résultant d'un postulat trinitaire reposant sur "la naissance, de la condition et de l'éducation". Ce qui ne manque pas de contemporanéité.
Pour rendre néanmoins divertissante et rythmée cette partition ressortissant au théâtre d'idées, Marivaux y a inséré du comique et de la gravité qui sont souvent gommés par le choix de Christian Huitorel d'une approche raisonnée et tempérée qui la linéarise et l'affadit, même si la belle langue marivaudienne, dispensée avec justesse par les comédiens, reste attractive, tout comme certains choix scénographiques tels les pneus jonchant la scène, seuls éléments de décor évoquant davantage une décharge ou une arrière cour de garage qu'un paysage insulaire, et le final dansant dispensable.
Christian Huitorel, qui, déguisé en en calamiteux pirate de carnaval, s'est distribué dans le rôle de Trivelin, a pris le parti risqué du contre-emploi pour les personnages féminins en confiant à Nathalie Veneau, au physique gracile, le rôle de la soubrette véhémente, et à Caroline Frossard, belle plante blonde, celui de la futile héritière cramponnée à ses stilettos.
Cela étant, l'opposition maître-valet est bien restituée entre Iphicrate, petit roquet violent, obséquieux et méprisant en pseudo-smoking blanc - mais nu pieds - bien campé par Mathias Casartelli, et Arlequin que l'excellent jeu de Cédrick Lanoë ,nonobstant son accoutrement de bûcheron canadien, éloigne du bouffon farceur, insolent et paresseux pour le rendre plus proche de l'homme bon et solide au sens des philosophes des Lumières. |