C'est
déjà dimanche - alors bon dimanche, sous vos applaudissements
- le soleil a un peu calmé ses ardeurs et c'est pas plus
mal. La plupart de mes amis photographes ont grillé au soleil
comme des sardines sur un barbecue et les nuages sont accueilli
comme une pause, un vrai confort, d'autant qu'aujourd'hui la journée
s'annonce encore une fois chargée, avec le concert de Muse
en point d'orgue.
Pour le moment j'ai rendez-vous avec Dominic
Sonic et son nouveau groupe Sonic Machine.
Je connais mal mais je ne demande qu'à découvrir.
Formation
rock, basse, guitare, batterie et Dominic à la guitare (Takamine
accoustique) et au chant. Et puis un double micro et ce drôle
d'engin muni d'une antenne, mais après Emilie Simon et ses
sons merveilleusement triturés, malaxés, synthétisés,
je demande à voir ou plutôt à entendre.
Autant le dire tout net, Sonic Machine est une des bonnes surprises
de ce festival. Le groupe vogue de ballades cool en titres plus
chauds, avec une omniprésence des guitares et la voix soutenue
de Dominic. La distorsion du son est habilement menée par
la main de Dominic qui frôle l'antenne de son boîtier,
ce qui ajoute encore un peu à la théatralisation du
concert.
Au final, on ressort du concert de Sonic Machine les oreilles pleines
de bons sons pour un set qui s'est avéré un poil trop
court, mais en festival c'est la régle. Bref, la machine
de Dominic Sonic, c'est bon pour vos oreilles.
Etrange
personnage que Lhasa. Cette fille qui
ne se contente pas d'être belle et sensuelle est aussi énigmatique.
Elle parle couramment plusieurs langues et on dirait qu'elle entretient
savamment le mystère autour de ses origines. Musicalement,
c'est un peu pareil et je dois avouer que c'est très déroutant...
L'environnement musical de Lhasa n'est pas clairement défini,
impossible de lui coller une étiquette. Le plus drôle
c'est que tout le personnage suit, dans un vrai mimétisme
physique, Lhasa est portuguaise lorsqu'elle entonne un chant aux
accents douloureux du fado, les poings crispés sur son visage,
Lhasa est brésilienne lorsqu'elle aborde les rythmes sud
américains.
Et si c'était ça, au fond le secret de Lhasa ? Cette
femme n'est de nulle part, parce qu'elle est de partout. C'est cela
sans doute son secret. Lhasa est une chanteuse du monde, liant toutes
les influences et toutes les cultures. C'est ce qui fait qu'au bout
du compte les festivaliers lui ont réservé un accueil
triomphal. Et amplement mérité.
Hugues Aufray est un chanteur populaire,
dans le sens vrai du terme. Pas convaincu ? Il fallait croiser du
côté de la scène Kerouac, vingt minutes avant
le début du concert pour effacer toute ambiguité.
Ils sont tous là, venus en famille, jeunes, moins jeunes
pour réserver l'accueil qui va bien à celui qui a
accepté - non sans réticences - de remplacer Adamo
au pied levé.
Oui, parce qu'il a un foutu caractère, le gars Aufray, ceux
qui ont assisté à sa conférence de presse -
j'en étais - peuvent en attester, ça valait son pesant
de cacahuètes mais qu'importe.
On
n'oublie pas que c'est Hugues Aufray qui a permis au plus grand
nombre de découvrir, bien avant les autres, Dylan
en traduisant ses textes dans la langue de Molière.
Bon, le personnage est un peu bouguon, souvent moqueur, parfois
cynique quand il évoque "sa session acoustique",
avec lui il y en a pour tout le monde, une chanson pour les agriculteurs
condamnés par les pressions européennes, une chanson
pour les marins péris en mer, bref, Hugues ratisse large
et ça fonctionne.
Et puis le répertoire est tellement vaste qu'il suffit
de taper dans le stock : des titres comme "Céline"
ou "Adieu Monsieur le professeur"
que tout le monde a un jour fredonnés ou l'inévitable
Santia-a-no avec l'intro au biniou de circonstance. Le show se termine
mains levés, le public est heureux, Hugues Aufray tient son
triomphe et après tout, ça n'est que justice. Il en
rêvait depuis longtemps, les Vieilles Charrues l'ont fait
!
Avec l'inénarrable Thomas Fersen,
on passe le grand braquet et à la vitesse un cran au dessus.
Car Thomas c'est du spectacle vivant, le meilleur de la chanson
française, textes et musiques, sur un ton absolument déconnant.
Thomas Fersen a la décontraction d'un Dutronc
et le génie d'écriture d'un Gainsbourg.
Un peu plus de dix ans après la sortie de son premier album,
sa victoire de la Musique catégorie Révélation
de l'année, le chouchou du Printemps de Bourges et des Franco
est en vedette aux Charrues.
Initialement
programmé en début de soirée, Thomas a accepté
de décaler son set pour permettre aux marseillais de Iam
d'arriver à la scène dans les délais.
Classieux et gentleman, mais ça on le savait déjà.
C'est donc un Fersen éblouissant, plein de malice et de drôlerie
qui investit la scène Glenmor et qui en deux ou trois titres
emballe le public et le renverse comme une tarte tatin. Thomas Fersen
est définitvement savoureux, à consommer sans aucune
modération.
Il suffit de croiser le regard d'Ilene Barnes
pour savoir que cette fille en impose - dans tous les sens du terme
- et qu'elle n'est pas du genre à s'en laisser conter, compter
non plus d'ailleurs. Ilene Barnes est une fille hors pair, totalement
imprévisible.
En 2000 après avoir sorti un premier album dans une major
- une major c'est le rêve de tout artiste après tout
- elle tire sa révérence et va voir ailleurs si le
feeling est meilleur. Il l'est. Ilene Barnes signe avec une petite
compagnie à taille humaine où elle se sentira regardée
pour ce qu'elle est et pas pour le potentiel qu'elle représente.
Risky business ? Certes. Mais la fille est comme ça, droite
dans ses bottes.
Revenons
au regard, donc, que j'avais croisé l'espace d'un instant,
à l'Espace Vauban où Ilene avait donné, il
y a quelques mois de cela, un concert d'anthologie.
C'est ce regard vif et clair que je retrouve sur la scène
Kerouac. Ilene est filmée par une télévision
anglo-saxonne et s'excuse de devoir parler en anglais alors qu'elle
pratique un français parfait. Qu'importe, chassez le naturel,
la langue de Molière reviendra très vite s'insinuer
parmi les mots en anglais. Ilene commence le show par un hommage
a capella à Nina Simone alors
il y a cette voix qui monte crescendo, profonde, chargée
d'émotion, sensuelle, mélancolique, magnifique.
Le public est sous le charme, ébahi par tant de puissance
et de présence. Le set tout entier est de même facture,
un frisson parcourt la foule. Jazz, blues, ryhtm and blues, rock.
Ilene Barnes sait tout faire, elle est un prodige vocal. Son album
"time" est une merveille du genre.
Des marseillais de IAM - comme tout le
monde - je garde un souvenir amusé du titre dont toutes les
radios FM nous avaient rebattu les oreilles il y a un bail de cela
("je danse le mia") mais je
dois avouer que depuis tout ce temps c'est silence radio, hormis
en écho de temps à autre quelques engagements politiques
sur le thème de la résistance, dans la lignée
des toulousains motivés de Zebda.
C'est
donc en spectateur brut de pomme que je vois les rappeurs marseillais
débouler dans un décor qui semble figurer une village
ancien - peut être un quartier de leur Marseille natal ? -
et débuter leur set qui va se prolonger au delà du
temps réglementaire (rebelle, rebelle...).
Les membres d'IAM finissent leur tournée ici en Bretagne,
dans le public on compte quelques afficionados du groupe, même
si la majeure partie des kids présents n'ont que le mot "muse"
en tête. Les rappeurs marseillais sont des pros et leur show
est réglé au millimètre. Les fans sont heureux
et après tout c'est ce qui compte, non ?
Kings of Leon, drôle de nom, parcours
atypique. Ces p'tits gars sont originaires du Tenessee, trois frères,
Caleb au chant,
Nathan le batteur, Jared le bassiste et un cousin germain
Matthew à la guitare. A l'origine
le nom de leur groupe est un hommage à leur grand père.
Le père des gamins était évangéliste
à l'Eglise Pentecôtiste, toujours sur les routes par
monts et par vaux, entre Oklahoma City et Memphis.
Les kids ont fait leur classe dans les églises mais progressivement
comme le souligne Caleb avec un brin d'ironie leur gospel à
eux ressemblait de plus en plus au son des Rolling
Stones. Et effectivement, au premier riff de Nathan, on réalise
que les Kings of Leon sont tout, sauf des enfants de choeur.
Ils
nous servent un bon gros rock épais mâtiné façon
sudiste et on prend ça comme une bonne claque, un de ces
upercuts musicaux qui vous scotchent. Dans le public, les fans sont
au taquet, grave bourrin.
Sur scène, le quatuor met le feu et on sent une parfaite
cohésion dans le groupe, incroyable compte tenu de leur côté
juvénile. Pas étonnant à vrai dire, les Kings
of Leon jouent ensemble depuis l'âge de sept ans et leur unicité
sur scène - leur fraternité - est le ciment de leur
groupe. Kings of Leon. Retenez bien ce nom, les trois frangins et
le cousin n'ont pas fini de faire parler d'eux !
Voilà on y est. C'est maintenant. Le concert de clôture
des Charrues 2004, celui que des milliers de kids attendent depuis
des heures, quatre lettres m-u-s-e pour un phénomène
qui a déjà largement dépassé toutes
les frontières. Une réputation qui n'est nullement
usurpée, tant le chanteur de Muse
- Matthew Bellamy - cumule les qualités
qui font de lui un excellent songwriter, un remarquable musicien
et surtout un showman, comme il le démontre à chaque
concert où le groupe se produit.
Pour l'heure, la question cruciale est la sécurité.
On est à quelques minutes du concert, les services de sécurité
font leur job avec un sang froid qui impose le respect. Au signal,
les photographes investissent la fosse, on est à deux minutes
du top et je dois avouer que depuis que je shoote des concerts,
je n'avais jamais ressenti une telle montée d'adrénaline.
Je serre mon EOS dans ma main droite, je checke machinalement, position
on, one shot, je suis face à la scène, d'instinct
je me retourne, face à moi derrière le cordon de sécu
ils sont des dizaines de milliers et ça le fait, croyez-moi
sur parole.
Et
la foule explose, exulte, Muse est sur scène et déjà
Bellamy arrache son premier riff qui embrase la plaine entière
et bien au delà, avec une aisance absolument inouïe.
Dans le viseur, chaque moment qui passe est un moment d'exception.
L'énorme machine Muse est en marche et tout cela frise l'absolue
perfection.
S'il est un groupe qui mérite le label "power trio"
c'est bien Muse ! Un guitariste-chanteur qui délaisse parfois
le manche pour un piano (lumineux), un batteur, un bassiste, c'est
ça Muse, ça et une voix, une voix sublime, puissante,
cristalline, lyrique, une voix à la tessiture unique et immédiatement
reconnaissable, la voix de Matthew Bellamy.
Après deux titres, les photographes sont invités
à quitter la fosse pour des raisons de sécurité
et chacun se plie à la régle. Je suis le concert backstage,
sur les écrans géants une vidéo affiche un
décompte qui à zéro déclenchent deux
canons qui inondent la plaine de confettis. Aucun doute, Muse sait
recevoir.
Les kids, les fans, le public, tout le monde est aux anges. Il
me revient alors comme en écho les mots de Manu, membre de
l'organisation des Vieilles Charrues : "tu sais Hervé,
le seul truc vraiment important, aux Charrues, c'est de s'amuser
!" Ouaip ! A ce sujet là, aucun doute possible, on s'est
vraiment bien marré. Merci à tous d'y avoir cru.
Et à l'année prochaine !
Crédit photos : Hervé LE GALL, Cinquième
nuit
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