"Ah… Carhaix" pour paraphraser Matmatah. Il y a d’abord le trajet en voiture qui prend des airs de road-movie breton. Traverser toute une série de villages au nom qui fait doucement rêver : Lanfains, Corlay, Plounévez-Quintin, Rostrenen… Bienvenue dans mon hood, la Bretagne profonde, rurale et taiseuse. Il y a ensuite l’arrivée en centre ville transformé en débit de boisson géant. On est le 14 juillet. Les bacheliers fraîchement diplômés fêtent encore leur bac. On les reconnaît facilement, ils sont généralement ivres aux alentours de 17 heures et trimballent dans leur bouteille en plastique d’improbables cocktails dont le but est de se mettre très rapidement un cerf-volant dans la tête.
L’ambiance est comme chaque année bon enfant. Plus que jamais, la foule est impressionnante. Il faut dire qu’à l’occasion de la vingtième édition du festival, les billets se sont vendus très rapidement et des centaines de milliers de personnes sont attendues sur les quatre jours du festival. Les traditionnels vendeurs à la sauvette proposent d’ailleurs de billets à des prix totalement indécents.
A peine le temps de récupérer le précieux passe (là encore la queue aux accréditations est tout bonnement hallucinante), que Jean-Louis Aubert est déjà sur la scène Kerouac. L’ancien Téléphone déroule un set efficace et alterne entre de ses propres tubes et ceux de son ancien groupe "qu’on a tous kiffé au moins en troisième". Difficile, en effet, de ne pas être saisi d’une irrépressible envie de beugler en chœur "quelque chose en toi ne tourne pas rond" et de faire "nananananana" pour imiter le riff de guitare. On est tous pareils…
Direction le bar 4. QG des mêmes habitués depuis des années. Retrouvailles, embrassades… Le soleil cogne dur cet après-midi sur Carhaix (enfin il fait 22 degrés). La bière étanche les gosiers un peu secs. Le festival est bien lancé.
C’est le moment idéal pour s’écouter Kaiser Chiefs. En faisant un petit effort et vu le gigantisme du festival, en fermant les yeux, on se croirait presque à Glastonbury. Les Anglais déroulent un set efficace, bien maîtrisé. Le chanteur entre sur scène en lançant un "DeizMad" ("bonjour" en breton, pour nos amis parisiens) convenu mais qui enflamme le public. Riffs efficaces, gouaille toute British, toucheelectro… Tout cela sent les réminiscences baggy de la scène Madchester mais reste terriblement efficace.
Re - bar 4, en attendant ce qui reste pour le vieux fan de pop indé anglaise que je suis LE concert du jour, voire du Festival : Pulp. Jarvis Cocker est en grande forme. Costard noir suédé, chemise verte de dandy, Chelsea Boots avec talon cubain… Toujours cette éternelle dégaine d‘étudiant aux Beaux-Arts. Le reste du groupe prête un peu à sourire, surtout le guitariste de gauche qui me fait furieusement penser à mon conseiller financier avec sa chemisette blanche. Le groupe démarre fort avec "Do You remember The First Time". Et là c’est parti, l’effet madeleine de Proust est immédiat. On se croirait en 95, en pleine gloriole britpop. On assiste à du grand Jarvis. Il assure le show, semble ravi de jouer sur la scène Kerouac qu’il cite entre certains morceaux. Le grand moment, parmi tant d’autres restera la mise en scène délicieusement salace sur "This Is Hardcore", où Jarv’ transforme son micro en objet phallique. Certes, c’est une reformation, c’est en vogue, trop souvent pour le pire, mais là c’est pour le meilleur à chaque titre. Puis vient malheureusement l’heure du dernier morceau, un "Common People" orgasmique. Voilà, c’est fini, retour à la réalité, "I wanna live likecommon people". Retour au bar 4…
La nuit tombe quand Scorpions envahit la scène Glenmor. Un peu avant dans la soirée, on avait pu juger sur pièce pendant la conférence de presse du groupe que le look et la pratique du hard rock après 50 ans devraient être tout simplement interdits par la convention de Genève. Même si l’on a tous honteusement eu une cassette du groupe teuton pendant cet âge ingrat qu’est l’adolescence, point de Madeleine de Proust ici. Tous les clichés du hard rock sont concentrés pendant l’interminable prestation du combo allemand. Le look total cuir, le strass, les solos de guitares, le batteur perché au-dessus du groupe, qui nous gratifiera d’un douloureux solo, ponctué par le sacrifice cul sec d’un pinte de bière… Sooooooo rock’n roll baby… Et puis bien sûr, les papys teutons nous gardent le meilleur pour la fin : les fameux "slow braguette" qui ont fait la renommée de Klaus Mein et de ses sbires. C’est donc parti pour un combo "Still Loving You" et "Wind Of Change". Quelques couples ne résistent pas et dansent… On est toujours au bar 4. On commence à être un peu pétés. On allume un briquet près d’un couple de 25 ans qui a peut-être été conçus sur "Still Loving You". Visiblement, ces jeunes gens n’ont aucun sens de l’humour et la jeune fille nous gratifie d’un majeur tendu. Classe… Et puis vient l’heure du soulagement, Scorpions sort de scène.
Direction Kerouac pour essayer de se trouver une place pour voir Snoop Dogg. La scène Kerouac est un peu petite pour le roi des Pimp. Le public est bigarré, on croise pas mal de petits mecs de 15-20 ans en marcel / jean Kaporal’s / gourmettes / chaîne en or qui se verraient bien, eux aussi, dans une villa sur la West Coast entourés de meufs méga bonnes en string autour de la piscine. Malheureusement, la réalité les rattrape. Ca se la donne un peu, c’est assez drôle…
Je n’ai pas la patience de me faufiler vers les premiers rangs. Je me dirige à regret vers l’espace presse et je suis sur un écran la prestation de Snoop qui a ramené un invité de choix : Warren G. C’est un show de rappeur US. C’est parfois un peu gros, mais encore une fois très efficace.
Il commence à se faire tard. Le cagnard de l’après-midi a laissé place à l’humidité bretonne, et la fatigue commence à se faire sentir. Avec quelques camarades, on se motive pour aller voir la prestation de Mondkopf. Le Toulousain s’active devant ses macbook. Il alterne entre beats lourds, efficaces et atmosphères plus ambiantes, moites et pesantes. On se dit qu’il faut encore tenir 3 jours et qu’il serait raisonnable d’aller se coucher. On s’exécute.
Après une nuit courte, Carhaix se réveille. Vers 11 heures, les terrasses sont déjà bondées et l’expression "manger dans son verre" prend tout son sens. On sait bien que la journée va être longue. On attend aujourd’hui certains groupes avec une certaine excitation : Foals, Miles Kane, Stromae, The Bellrays… J’ai toujours du mal à croire que je vais voir David Guetta ce soir. S'il y a bien un artiste que je ne pensais jamais voir, c’est bien lui. Mais c’est aussi cela qui fait le charme de Carhaix. Une immense boule à facettes est prévue pour le pape de l’électro. Electro ? Saint Kraftwerk, priez pour nous. |