Les deux premiers jours à Beauregard ont laissé des traces. Après avoir vu seize concerts dans leur intégralité en deux jours et avoir piétiné pendant près de 18 heures, on mérite bien un gros plateau de fruits de mer pour le petit-déjeuner.
En début d'après-midi, on rate Lull. Dommage car ses balades folks nous avaient séduits sur son Myspace.
On entre donc directement dans le vif du sujet avec Anna Calvi. En quelques mois, la jeune londonienne a pris énormément d'assurance et commence à devenir une vraie bête de scène. Elle entre, rouge à lèvres écarlate, tout de noir vêtue, talons hauts, un blouson qu'elle ne tarde pas à tomber soulevant la poussière devant les enceintes de retour et les cheveux détachés dans le vent. Pas facile de balancer son rock crépusculaire à 4h de l'après-midi sous la chaleur écrasante. On constate que sa voix a encore pris de l'ampleur, ses envolées sont d'une absolue puissance.
La multi-instrumentiste Mally habille à l'harmonium ces ballades qui autrement pourraient paraître rêches. Quant au batteur, il est plus à l'aise qu'il y a quelques mois. Anna Calvi est concentrée, mais souriante entre les chansons. Un deuxième guitariste additionnel intervient parfois sur certaines chansons qui donne plus d'espace à ces compositions qu'aurait pu écrire le bâtard d'Elvis et de Siouxsie Sioux.
Le gros ampli Vox derrière elle donne à la musique cette texture si particulière, cette ambiance brute et sensuelle. La quasi-intégralité de son album sera interprétée, mais on retient les versions tendues et intenses de "Blackout" et de "The Devil". En avant-dernière chanson, elle interprète en reprise de Piaf, un "Jezebel" voodoo et tribal, avec une batterie qui emporte tout sur son passage. Malgré un horaire pas forcément adapté (comme Agnes Obel la veille) aux ambiances solennelles des chansons, Anna Calvi s'impose haut la main.
A chaque fois qu'on voit Eels, on se pose la question de ce qu'ils vont inventer, de la formation dans laquelle ils vont venir jouer, et du style musical qu'ils auront adopté cette fois-ci. L'année dernière à Rock en Seine, E., le chanteur, était habillé d' une combinaison blanche avec un bandana sur la tête, et le groupe s'était lancé dans des versions surf music de leur répertoire. Cette fois-ci, on voit s'installer derrière les instruments une troupe de gentlemen farmers barbus arrivés tout droit de leur ferme au coeur des Etats-Unis.
E. arbore un couvre-chef de toile, avec son énorme barbe, il semble tout droit descendu de la charette d'un amish. Cette fois, les guitares sont saturées et deux cuivres jazz soutiennent certains morceaux leur donnant un coloration soul. E. qu'on a connu régulièrement dépressif semble en pleine forme. La voix est bien devant pour un concert qui tourne presque au best of. Toutes les versions sont dynamitées, archi bluesy. Pendant "Fresh blood", E. lâche de longs cris de loup garou. "Saturday morning" et "Birds" sont archispeedées. Pour "Novocaine for the Soul", les sons électroniques seront réalisés avec un trombone à coulisse et une flûte traversière. Un concert de fous.
Ensuite viennent les Kooks pour un concert sautillant. Loin des craintes que j'avais concernant ce groupe qui émeut les lycéennes dans les cours de récré, la prestation est agréable. Certes, la voix de Luke Pritchard n'est pas toujours posée avec justesse, mais il rattrape à l'énergie. Par contre, durant tout leur concert, leur son a été pourri. On reconnaît leur tube "Ooh La" qui date déjà de 2006, mais rien d'autre de leur répertoire.
Certainement ont-ils interprétés des chansons du nouvel album Junk of the Earth, mais je ne certifierais que "Taking pictures of you". Luke Pritchard n'a que 26 ans mais a le talent d'écrire de petites mélodies pop immédiates. La prestation des quatre de Brighton est plaisante mais sans qu'il y ait de magie spéciale qui opère. Peut-être un jour écriront-t-ils leur "There She Goes" comme les La's. Puisqu'ils ont l'air sympathiques, qu'ils respectent le public et font leur musique avec honnêteté, on le leur souhaite.
C'est maintenant au tour de Keziah Jones de se présenter devant le public de Beauregard pour un concert en solo acoustique. En solo acoustique ? Mais alors pourquoi cette guitare électrique et ce percussionniste qui l'accompagne ? Son costume taillé dans un tissu africain, un chapeau sur la tête, Keziah échange beaucoup avec le public. Il parle de lui, de l'Afrique, fait chanter les spectateurs. Sa technique est imparable, il joue comme il l'entend, suivant son instinct, en interactivité avec le public. Son percussionniste a la main légère et suit les digressions du nigérian.
Sa reprise de "All along the watchtower" de Dylan mais popularisée par Hendrix reste un des sommets du concert car malheureusement, malgré toutes les qualités qu'on lui reconnait, Keziah Jones peine à trouver des mélodies qui accrochent. Il terminera le concert par "Rythm is love" que tout le monde attendait. Les festivaliers semblent ravis, mais chez Froggy, nous restons un peu sur notre faim.
Par contre, on ne contestera pas le fait que Keziah ait une belle présence scénique, du charme, une bonne voix et une technique sans faille. C'est certainement la raison pour laquelle en arrivant en France pour cette tournée, qui passait auparavant par l'Allemagne, le chanteur s'est fait emmener pour un contrôle d'identité musclé par la police Gare du Nord à Paris. Peut-être certains fans employés par la maréchaussée souhaitaient-ils avoir un autographe.
Zazie était la caution populaire du dimanche, celle qui était sensée ramener les familles sur le site du festival. Chanteuse de variété, auteur et compositeur à succès, je n'ai a priori pas grand-chose contre elle, c'est-à-dire que je ne me précipite pas pour changer de station lorsqu'un de ses succès passe à la radio. Mais, pour être honnête, je n'ai, a priori, pas grand-chose pour non plus.
La voix d'Isabelle Marie Anne de Truchis de Varennes, le vrai nom de Zazie, se reconnaît immédiatement. Elle est venue dans une formation claviers/guitare/batterie. Il n'y a aucun doute, ses musiciens tiennent la route. La chanteuse est bien entourée. C'est l'occasion d'écouter avec un peu plus d'attention une chanteuse dont on connaît surtout les tubes, et à laquelle on ne s'est jamais vraiment intéressé.
Certes les thèmes abordés dans ses paroles sont consensuels mais l'écriture est exigeante. Quant à la musique, je ne ne suis pas séduit, affaire de goûts. Par contre, elle bouge bien et a l'air d'apprécier ce concert en plein air. Finalement, on se laissera tranquillement emporter par cette chanteuse sympathique et dont la démarche semble intègre. En plus ses mélodies font danser les enfants, c'est mignon et c'est déjà ça. Encore une fois le public apprécie. "Aux larmes citoyennes", "Zen", "Rue de la Paix" sont reprises en choeur de manière enthousiaste par des fans qui connaissent bien les paroles. Zazie répond à l'image qu'on peut avoir d'elle, celle d'une chanteuse de variété généreuse qui fait bien ce qu'elle sait faire, sans avoir besoin de faire appel à de quelconques artifices.
Patrice a donné un excellent concert. Il parle lui aussi beaucoup au public, le fait bouger. Ses musiciens tapent le boeuf plus qu'ils n'accompagnent le chanteur.
Il y a beaucoup de liberté de ton dans cette musique, beaucoup de plaisir aussi. La plupart des chansons sont tirées de son dernier album One dont la reprise de Nina Simone, "Ain't got no".
La musique de Patrice s'apparente plus à du rocksteady qu'à du reggae, mais il mêle aussi des influences autant pop qu'africaines ou rock à sa musique. Dans la foule les gens dansent, la poussière s'envole, Patrice monte sur les barrières juste devant la foule pour encore attiser cette bonne ambiance. Il encourage les spectateurs pas encore complètement épuisés par trois jours de festival à bouger en rythme, à sauter et à s'amuser.
Puis il invite Keziah Jones et son percussionniste à venir rejoindre le groupe pour taper la jam. Tous deux ont l'air heureux d'être là et se fondent dans cette joyeuse bande. Après "Soulstorm", il revient en rappel pour un "Walking alone" à la guitare acoustique. Le concert a été généreux. Les festivaliers repartent joyeux et reboostés par cet apport soudain de bonne humeur. Le soleil se couche sur ce dernier jour de festival, les coups de soleil aussi vont pouvoir se reposer.
Dès les premières notes du rock atmosphérique, on est pris par l'énorme son des basses. Le son est fantastiquement clair. Les chanteurs se succèdent pour interpréter les morceaux composés par Griffiths et Keller qui se tiennent chacun à une extrémité de la scène. Presqu'aussi impressionnant que les basses, le light show vient compléter cette impression d'emphase, d'immensité, de puissance qui se dégage des compositions d'Archive. Archive, c'est un peu comme si Chostakovich se mettait au trip-hop et à la musique électronique. Les loops planants sont soutenus par de vrais instruments, batteries, guitares, basses, et surtout les voix des différents chanteurs et chanteuses qui viennent parfaire l'édifice.
Après le groupe de Bristol, fourbus mais contents, on ne se sent pas d'aller assister à la finale nationale d'Air Guitar. D'autant qu'il est déjà minuit et qu'il faut songer aux dures réalités du quotidien qui nous attendent dès le lendemain. Tant pis aussi pour les Ting Tings qui, de toute façon, semblent toujours plus à l'aise dans des salles moyennes que sur les grandes scènes de festival où ils donnent généralement l'impression d'être perdus.
Avant de quitter le site, on a une pensée pour les équipes de bénévoles qui ont cette année encore fait un travail remarquable.
Quant à l'organisation, aux infrastructures, au lieu, tout était réussi. En trois jours, le festival de Beauregard nous aura offert de très beaux moments, des découvertes qu'on surveillera avec attention (surtout Jesus Christ Fashion Barbe et Concrete Knives), des coups de gueule, des coups de coeur (Anna Calvi, Agnes Obel, dEUS, Eels), des concerts agréables et des shows grandioses. Il y aura bien sûr eu le petit lot de déception, et aussi le fait qu'on n'aime jamais tout ce qui est proposé à l'affiche d'un festival. Avec plus de 50.000 spectateurs en trois jours, Beauregard est entré dans la cour des grands festivals français. |