"Jayne Mansfield 1967" de Simon Liberati est présenté en quatrième de couverture comme "une oraison funèbre et morbid chic dans la droite ligne de Truman Capote et Kenneth Anger".
De quoi pluri-intriguer le lecteur lambda qui ne fraie pas dans l'écume de la jet-set littéraire et qui procède à des lectures parfois erratiques qui, non guidées, voire téléguidées par les critiques littéraires, résultent d'un choix souvent irrationnel.
Alors quelques points de repère.
L'auteur, tout d'abord, n'en est pas à son coup d'essai. Journaliste qui a fidèlement collaboré pendant deux décennies à l'équipe rédactionnelle du magazine FHM, il a déjà plusieurs oeuvres à son actif s'étant reconverti avec succès dans la littérature puisque figure à son palmarès le Prix de Flore 2009 décerné par un aréopage de journalistes présidé par son ami Frédéric Beigbeder.
S'agissant de la dernière en date, elle concerne donc Jayne Mansfield, une sulfureuse actrice blonde peroxydée, tête de liste du style pin-up cheesecake, qui, le 29 juin 1967, trouvait la mort à 34 ans dans un banal accident automobile.
A l'exception des cinéphiles, et encore des cinéphiles pointus spécialistes des productions de série Z compte tenu de la filmographie lénifiante de la dame – nonobstant un QI affiché à faire des jaloux – qui comprenaient à ses débuts quelques vrais succès populaires, et ce malgré des prestations filmiques, et autres, pour lesquelles elle payait largement de sa personne, son nom doit certainement être tombé dans les oubliettes pour les générations nées après 1950.
Toutefois, certains se souviendront peut-être du couple plastique explosif qu'elle formait, elle surnommée "le Buste" en raison de ses obus mammaires, avec Mister Univers 1955, le superbodybuildé Mickey Hargitay qui fut son mari.
Par ailleurs, le retour contemporain des bimbos blondes et la médiatisation de l'iconographie gay avec sa galerie de femmes sexy-glam ont donné un coup de rétroprojecteur vers l'âge d'or d'Hollywood en exhumant ses figures archétypales qui, d'une manière ou d'une autre, ont défrayé, en leur temps, la chronique tant, voire plus, people que cinématographique.
Simon Liberati dresse ainsi l'état des lieux à sa mort : "Diplodocus des années dumb blonde (1955-1958), transformée à coup de perruques-poufs en pseudo-travesti et en pionnière du kitsch new yorkais, Jayne Mansfield avait en 1967 une réputation atroce mais un indice de notoriété hors catégorie, comparable seulement à celui de BB, des Beatles ou du pape Paul VI".
Et en guise d'oraison funèbre, "...un monstre engendré par la presse poubelle et le néant des vieux studios poussiéreux, allait retourner dans le chaudron d'où tout le cinéma d'antan était sorti".
Par ailleurs, s'agissant de la composante "morbid chic", avatar contemporain du décadentisme, qui se manifeste par une fascination pour la violence, l'érotisme de la mort, le fétichisme, l'immoralité et le mal, Simon Liberati en serait l'un des chefs de file.
Enfin, s'agissant des deux références citées, utile est-il - peut-être - de rappeler que le grand écrivain Truman Capote était doublé d'une sublime "langue de pute" qui a épinglé avec causticité la scène culturelle new-yorkaise des années 50 dont il était lui-même un des personnages en vogue. Quant à Kenneth Anger, réalisateur underground et premier apôtre du satanisme californien, adepte de l'occultiste Aleister Crowley, il a également publié un livre de "révélations" sur les stars hollywoodiennes.
Ces prolégomènes posés, que donne à lire Simon Liberati ?
Ni une biographie de la dame même s'il évoque
ponctuellement sa nature, ("sauvage, texane, virevoltante, ultraviolente" ) ses dérives (alcool + drogue + psychotropes), ses névroses (narcissisme, frénésie sexuelle, désir de plaire universel, exhibitionnisme....) et le déclin d'une carrière qui n'a jamais pris son envol passant de la sexy blonde explosive filmée par Frank Tashlin à une artiste de cabaret négligée ("un des freaks les plus spectaculaires de l'internationale du spectacle").
Et pas davantage un roman, bien qu'ainsi annoncé et nonobstant les deux premiers chapitres qui retracent, en cousin de plume de J.G.Ballard, l'accident dans le détail, ne s'agissant pas totalement d'une narration fictionnelle.
En fait, sans rapport avec les "mémoires" de Capote ou Ansger, Simon Liberati étant né en 1960, il poursuit, par la voie du docudrameen une transposition littéraire du magazine de société, son exploration du mal à partir du fait divers que fut la mort de "la Marylin du pauvre" mort, tout aussi inattendue que spectaculaire, la violence du choc frontal lui a ouvert de crâne et détruit complètement le visage, qui a connu une considérable ampleur médiatique.
Car Jayne Mansfield était une personnalité-people, la femme la plus photographiée au monde après Elizabeth Taylor, et celle qui par ses frasques récurrentes fut la première star autopromue dans la presse à scandale, la "yellow press" de Randolph Hearst qui virera au rose pour devenir le "pink journalisme".
Rose, comme sa couleur fétiche qu'elle a emprunté à l'actrice Jean Harlow ("une vamp blonde avec une mentalité de bébé"), la première actrice peroxydée à jouer le femmes fatales et à construire le mythe érotique moderne de la femme blonde, dont elle s'estimait l'héritière légitime.
Et, en se plongeant dans les archives, dont celles de l'actrice qui conservaient tous les articles la concernant, il met en place un éclairage particulier de sa mort, comme scénographié à la lumière de deux événements concomitants intervenus quasiment un an auparavant en octobre 1966.
D'une part, son exclusion "musclée" du San Francisco Festival Film International, due à David Sacks "ce starape" qui, selon l'auteur a signé la mort du star system né au début du siècle, en aurait fait "la victime expiatoire d'une deuxième chasse aux sorcières, celle de stars populaires, par les tenants d'une Amérique culturelle".
Notamment par son comportement fantasque et immoral, ce que Simon Liberati qualifie d'"impudeur joyeuse", elle n'est plus en odeur de sainteté dans le microcosme hollywoodien qui l'a utilisé, en tant que de besoin - elle fut sous contrat avec la Fox pendant 7 ans comme future relève de Mariylyn Monroe son aînée de 7 ans - la playmate Playboy février 1955 au look délibéré de "pin-up cheesecake".
Désormais étiquetée "boozy punk and pill shead", ce qu'elle assume, son corps est devenu une marchandise qu'elle vend pour faire bouillir la marmite. Elle continue de tourner mais dans le circuit du honky-tonk et des films nudies. Comme l'indique Simon Liberati, elle acceptait tout ce qu'on lui proposait même une inauguration de boucherie industrielle avec paiement partiel en viande.
Et d'autre part sa rencontre, avec Anton Szandor LaVey, un ancien forain "montreur de monstres du carny circuit devenu mystagogue luciférien" fondateur de l'(Eglise de Satan qui vivait dans sa Black House "version freaky du palais Rose" de l'actrice, suivie de son initiation "méphitique" et d'un pacte devant lui assurer la gloire éternelle ("LaVey lui vendit l'éternité au prix de sa vie").
Où comment être doublement sacrifié sur l'autel de la célébrité.
A défaut de novation et de révélation l'aspect pathogène reconnu de Hollywood et du show business et de l'influence des sectes et gourous ayant affecté bien d'autres personnalités, cette approche ne manque pas d'intérêt car elle est relatée de manière concise, maîtrisée et relativement percutante sur trois chapitres.
Dommage cependant que l'auteur revienne ensuite sur la même matière, parfois de manière très journalistique, même pour la conforter par d'autres éléments et même si, parfois, imaginant l'état d'âme et le ressenti de l'actrice, il semble investi par une écriture médiumnique. |