Plus Don Juan que Casanova, le père de la littérature moderne russe est présenté ici par Corinne Pouillot comme un homme à la bipolarité existentielle clairement assumée : les lettres et les femmes. Un ouvrage plaisant, première étape idéale à ceux qui voudront s’aventurer plus avant dans cette vie et cette œuvre passionnantes.
Les deux femmes les plus importantes de son existence ne lui auront apporté que du malheur, de la déconvenue, et un terrible manque d’amour. Une mère rude, acariâtre qui ne peut se passer de mondanités quitte à y laisser ses derniers écus. Une épouse qui ne vit que dans l’ivresse des bals impériaux grâce à une foudroyante beauté qui a tapé dans l’œil du tsar Nicolas 1er lui-même.
Entre ces deux piliers féminins de la vie de Pouchkine, des amantes, des maîtresses, des flirts sans lendemain, ou même de simples convoitises. Le tout sur fond de désillusions, de promesses, de jalousies aussi parfois. Cette jalousie teintée d’incompréhension qui aura raison de lui puisqu’elle le conduira au duel qui le tuera.
Des dizaines de femmes ont sillonné la vie de Pouchkine, certaines ayant eu droit aux faveurs de son "agenda de Don Juan". Parmi elles, celles qui auront fortement influencé son œuvre littéraire mais surtout poétique. Une œuvre assez peu connue en France mais dont les Russes ne cessent encore aujourd’hui d’explorer l’éminente modernité, la pureté linguistique. Mis en musique ou en chanson par les plus grands, à commencer par Tchaïkovski ("La Dame de pique" et "Eugène Onéguine"), Pouchkine a influencé toute la classe littéraire du XIXe russe, de Gogol à Lermontov.
Professeur de russe, Corinne Pouillot propose de faire revivre, de manière très romancée mais en se basant sur des faits réels, la vie tumultueuse de ce fou génial. Si toute la partie littéraire manque un peu de consistance (on s’étonne que ne soit même pas citée "La Dame de pique") et ne sert donc que trop peu la composante donjuanesque du personnage, l’état des lieux de la société russe du XIXème, du morne Moscou à la flamboyante et occidentale cité de Pierre le Grand, en passant par le Caucase où Pouchkine séjourna, s’avère passionnant. La minutieuse reconstitution des intrigues de cours autant que la description du joug que fait peser l’autocratie sur la création de Pouchkine, lui brisant littéralement les ailes, permettent d’éclairer sinon l’œuvre du poète, tout au moins les conditions que furent les siennes à la constituer.
Un ouvrage joliment écrit qui certes n’apportera pas grand-chose aux connaisseurs mais qui aura le mérite de proposer un regard différent sur celui qu’on ne présente le plus souvent que comme le plus grand poète russe de tous les temps. |