"Les Morues" voilà un titre qui peut aiguiser la curiosité.
Car l'auteure, dont le prénom pour le moins original, qui résulte non d'un égarement parental mais d'un choix délibéré de la demoiselle pour se démarquer radicalement, Titiou Lecoq, diplômée de sémiologie, pigiste plurisectorielle pour différents webzines et blogs branchés, a la plume stratégique.
Alors, livre de recettes ? Etude ichtyologique sur le composant principal d'un célèbre mets populaire nîmois ? Docufiction sur les péripatéticiennes ?
Rien de cela car sa couverture girly, une paire de jambes de poupée Barbie gainées de bas résille blancs, annonce la couleur. Il s'agit d'un roman pour lectorat féminin, qui ressortit donc au genre du chick lit dans lequel outre d'être, un terme qui, à l'instar de "salope" par exemple, est un petit nom sympa et affectueux qu'elles se balancent entre elles dans ces incontournables virées ou dîners de filles, "morue", mis au pluriel, constitue le concept élaboré par trois trentenaires, dont le penchant pour la vodka a rapproché les spleens existentiels, pour favoriser leur épanouissement personnel de jeunes urbaines déchirées entre un romantisme lénifiant et l'aspiration égalitaro-libertaire post-féministe.
Et plus précisément, dans le texte : "introduire un minimum de cohérence dans leur comportement au milieu de leurs contradictions d'héritières du féminisme pour mettre en accord leurs beaux principes égalitaires et leur vie quotidienne" notamment en identifiant "tous les automatismes enfouis, larvés, fruits d'un long conditionnement... dont la plupart prenaient racine dans le besoin de plaire aux hommes". Un peu comme les listes vademecum du magazine mode et sexy Cosmopolitan. Un trio de célibataires "débatantes" qui veulent vivre en couple, tout en restant célibataire, avec un prince charmant tendre et amoureux qui aurait le tempérament d'un acteur de film X et l'imaginaire d'un libertin aguerri, et pour lesquelles la grande conquête féministe consiste à se comporter comme un homme, un vrai, "boire, fumer et les copines d'abord" et avoir un vocabulaire couillu.
Le trio est composé d'Alice, serveuse dans un de ces rades de quartier confits dans leur jus d'origine des années 60 fréquentés par les vieux piliers de bar de la rue boostés avec le phénomène de l'afterwork qui va devenir leur quartier général, les dames étant plutôt accro à la picole, comme à la clope et au vocabulaire musclé parfois façon charretier, Gabrielle, "la tête de Greta Garbo posée sur un corps de mannequin", descendante et homonyme de Gabrielle d'Estrées, et Ema, avec un seul "m" bien évidemment, surnommée "Ema-les-gros-nibards" par ses proches masculins, victime de bouffées de frénésie sexuelle, journaliste de la rubrique faits divers d'un grand magazine et déclinaison française de Bridget Jones.
Sur une toile de fond d'obédience "Sex and the city", Titiou Lecoq, qui connaît l'appétence de sa cible marketing pour le roman policier, y ajoute une enquête, en dents de scie et qui tourne court, menée par les morues sur le suicide d'une amie d'enfance d'Ema. Ce qui entraîne quelques épisodes qui ne sont pas sans rappeler, au hasard et en moins humoristiques, les aventures des cinq filles de André H. Japp.
Par ailleurs, la défunte, consultante dans un organisme de stratégie économique, travaillant sur un dossier sensible de privatisation de la culture dans le cadre de la RGPP, l'austère
révision générale des politiques publiques, permet d'injecter une composante "scandale politico-financier".
Sans oublier la désormais très usitée playlist qui, en l'espèce, clôt chaque chapitre ni quelques personnages masculins comme l'amant torride qui se mue en compagnon plan-plan ou le surdoué qui plaque tout pour le statut de smicard et dont le blog-divan génère un buzz sur la toile.
Titiou Lecoq, qui a la plume déliée et le style dans l'air du temps, elle est également une bloggeuse avertie, notamment sur le sien "Girls and Geeks", a écrit un opus délibérément générationnel, dans le créneau encore peu encombré des trentenaires, façon "auberge espagnole" qui pâtit un peu de l'aspect patchwork, mais satisfait au cahier des charges d'un business plan opportuniste, et se lit sans prise de tête. |