Comme bien des choses en ce bas monde, les Nuits Peplum d'Alésia sont nées d'une légère ivresse. À l'origine festival total, où se mêlaient cinéma, théâtre et musique, les éditions successives se sont peu à peu resserrées pour ne plus proposer aux spectateurs que musique pendant trois jours. Comme les Nuits de Fourvière ou le Festival de Nîmes, on ne vient pas "aux Peplum", comme on dit ici, que pour la programmation mais aussi pour la magnificence du cadre : on se recueille sur le veilleur Vercingétorix, immense dans son habit de bronze, on déambule dans un petit bois tout droit sorti d'un conte où les expositions en tous genres s'abritent, on s'installe, fesses à terre, dans le théâtre de verdure au milieu duquel la scène, magistrale, s'intègre parfaitement.
Voici donc un petit survol musical de cette onzième édition des Nuits Peplum d'Alésia, à l'organisation et à l'ambiance exemplaires.
Dan Barnum... ou trois petits titres et puis s'en vont
Tout commence par un (relatif) faux départ, par un batteur absent, et par un jack défaillant, qui rend la guitare capricieuse et le guitariste bavard par nécessité. On est bien déçu de ce minuscule set, car le peu lu (première partie de Eiffel, de Cali et de Luke) et le peu entendu – chanson française, chanson à textes, et quelques sons de synthé à l'appui, pour une touche pop intéressante – nous plaisait assez. Ce n'est qu'un au revoir, Dan Barnum.
June et Lula... ou la voix dans son plus simple appareil
Chez ces deux filles-là, les timbres se tissent sans effort, à peine rythmés par la chaleur d'une contrebasse. Aigus cristallins, berceuses câlines, balades discrètement country, la folk naturelle de June et Lula apaise. Et quand elles prennent la parole au micro, on dirait les demoiselles aussi timides que de frêles midinettes.
Mais on le sait : il faut se méfier des apparences. Car les deux belles savent bien ce qu'elles font – et ce qu'elles ont : la justesse vocale dans la peau. Un peu sirènes, elles nous laissent nous prendre les ouïes dans les mailles de leur carmen. Mais l'angliciste, même débutant, cernera avec un peu d'attention la petite violence de leurs textes et leur engagement, de la chanson "naturaliste" au conte "version moderne"...
Le set se terminera par un gospel, version remaniée d'un "Everybody needs somebody" qui semble enchanter le public. June et Lula, chauffeuses de "salle" ? En tout cas, la surprise est bonne : car le public, incontestablement venu en priorité pour Tri Yann, la tête d'affiche de la soirée, se montre enthousiaste et chaleureux. Merci pour elles.
Charles Pasi... ou l'art de faire rugir son harmonica en une leçon
"Tu connais Albert Raisner ?" me lance un bénévole. Je marmonne un "non" quelque peu gêné. "C'était un harmoniciste des années soixante. Eh bien, me dit-il, tu vas voir, Pasi il est encore meilleur". Quel teasing ! Entre alors un jeune minet décontracté, dont la virtuosité à l'harmonica va, en effet, très vite, se faire entendre. Le groupe distille tantôt une soul pêchue, tantôt un rock puissant, le tout teinté de blues, dans des morceaux où Pasi se fait chanteur mature et harmoniciste rugissant. Présent cet été sur quelques festivals de jazz et de blues, doté d'un album où un certain Archie Shepp (rien que ça) intervient en "guest star", Charles Pasi, dont on souhaite rappeler ici qu'il n'a que 27 ans, est en passe de devenir un grand nom de la musique française, dans sa version rock/soul/blues...
Petit aparté : quelle est le défaut d'une bonne programmation ? Le public souhaite un bis pour chacun des groupes. Comme pour June et Lula précédemment, les techniciens, entrant sur scène pour un changement de plateau éclair, se font sèchement huer par le public. À reculons repartent, sourire aux lèvres cependant, et Charles Pasi revient.
Tri Yann... ou le celtique fait de la résistance
Tri Yann n'aurait-il plus de celtique que le nom ? Pour ses quarante ans sur scène, le groupe breton a choisi de nous offrir moins un concert qu'un spectacle total en costumes décalés, composé de parties chantées et de parties récitées, articulées par une sorte de Monsieur Loyal (Jean-Louis Jossic) à la gouaille indéniable, et qui mêle dans ses présentations récit mythologique et détail post-moderne.
On est bien loin du Tri Yann acoustique et traditionnel d'il y a... bref. Le répertoire est resté le même – condition de survie du groupe, sans doute –, mais il est revisité, amplifié, modernisé – autre condition de survie du groupe, sans doute. Et ce rock "celtique", solo de guitare électrique à l'appui, convainc, visiblement : le théâtre de verdure est comble, les briquets s'allument au bout de quelques morceaux, les passionnés ont révisé les couplets de l'hymne breton, ceux des "Prisons de Nantes" et de "La Jument de Michao", entonnent, chantonnent, fredonnent. On notera, pour finir, que deux irréductibles... Bretons ont agité, en pleine Bourgogne, deux drapeaux... bretons : les limites du régionalisme seraient-elles musicales ? |