Il y a un an, à Hyères, un libraire me voyant errer dans ses rayons m’a tendu un livre en me disant : "C’est l’un de mes préférés, je pense que vous allez aimer". Il a eu tort ; j’ai adoré. C’était Mon traître de Sorj Chalandon. L’Irlande, l’IRA, des hommes et des femmes qui se battent pour ne plus être colonisés, un Français qui s’éprend de ce pays et qui découvre cette guerre... L’auteur est alors entré dans ma vie littéraire – avec ensuite Une promesse, Le petit Bonzi, La légende de nos pères – et c’est forcément avec hâte que j’attendais son nouveau roman. Il sort en août, sous le titre de Retour à Killybegs : Chalandon nous ramène sur les terres irlandaises.
Ce livre s’ouvre sur un prologue écrit par Tyrone Meehan. Le traître du roman du même nom. L’écrivain retrouve donc son héros et lui donne la parole cette fois. Dans le premier livre, c’était Antoine, le jeune Français, qui racontait. C’était son expérience personnelle qu’il relatait, ce que ses yeux voyaient de l’IRA et de ses membres. Désormais c’est à Tyrone de s’exprimer, de dire sa vérité. Pour empêcher qu’on ne la lui vole, pour devancer les fausses et ridicules rumeurs. Pour qu’on le comprenne aussi peut-être…
Le héros de la résistance irlandaise va donc, au fil des pages de son carnet, dévoiler la perte de son père, son enfance misérable et humiliée qui l’a conduit à s’engager. Il rappelle ainsi ce que signifiait être Irlandais au Nord en 1945. On lit les soldats anglais cruels, violents et méprisants. On lit les Irlandais du Sud qui oublient le sort de ceux de Belfast, on lit la pauvreté, le manque d’avenir et surtout cette guerre jamais gagnée ni perdue qui a divisé le pays en deux. Et, fatalement, à travers ses mots, on sent la révolte et la volonté de ne jamais céder aux Britanniques.
Les années défilent, Tyrone joue un rôle de plus en plus important dans les rangs de l’IRA. Il est connu, reconnu : il fait partie des héros, de ceux dont les actes et les paroles font naître et perdurer l’espoir de tout un peuple. Sauf qu’il n’est qu’un homme, avec sa part d’ombre et ses failles. Et qu’une seule erreur de jugement, en ces temps de guerre, peut pousser à commettre le pire : trahir.
Mais il n’y a pas que l’histoire de ce personnage au cœur de ce roman : grâce à lui, le lecteur touche de plus près cette guerre. Ces pages racontent les conditions de détention des détenus politiques, elles parlent des enfants battus à mort en pleine rue, du chômage qui laisse mourir de faim les Irlandais de Belfast, elles décrivent la peur et la haine. Et au milieu de l’horreur, elles font vivre aussi la fraternité et la solidarité de ce peuple qui ne baisse pas les bras. Elles vibrent de sa fierté et de son envie de liberté. C’est le destin de l’Irlande de 1916 à nos jours qui est relatée ainsi dans toute sa violence, sa complexité et sa tristesse.
Une fois encore, Chalandon a écrit un livre passionnant, incroyablement riche d’émotions et d’informations. Il n’y a pas que des bons et des méchants. Certains Anglais ont des visages d’enfants au regard désolé, des Irlandais s’acharnent dans la vengeance, les meilleurs combattants de l’IRA peuvent se lasser, abandonner ou trahir.
Que dire d’un livre qui réussit à nous fait sourire, presque pleurer parfois, qui nous pousse à nous questionner, et qui nous permet de retrouver le sens des mots fraternité et solidarité ? Qu’il est extraordinaire – au sens littéral du terme – que c’est un de mes préférés et que je pense que vous allez l’aimer. |