Les grincheux diront qu’une bonne Route du Rock est forcément humide… ils auront été servis hier soir. Je dois admettre qu’en 15 éditions, je n’ai pas souvenir d’un tel déluge : 6 heures ininterrompues d’une pluie battante, mettant les nerfs des festivaliers les plus aguerris à dure épreuve.
La grande tente acquise en 2009 grâce à l’appel aux dons a été providentielle, offrant un espace de réconfort entre deux concerts (et parfois aussi pendant, on vieillit…) à quelques chanceux.
Pour le reste, la pluie s’accompagne de tous les excès : des plus drôles avec la sortie des bateaux pneumatiques et des canards en plastique surfant dans l’eau boueuse, aux plus basiques avec sauts dans les flaques et jets de boue dans les gobelets EcoCup…
Musicalement, cela commence en douceur avec les Anglais de Still Corners et leur magnifique chanteuse qui met un peu de soleil dans nos cœurs : musicalement, cela oscille entre The Organ (en mode ralenti) et la voix de Paula Frazer de Tarnation. C’est beau mais tout ça manque un peu de rythme et la timidité de la demoiselle vire un peu à la mièvrerie sur la longueur. C’est une agréable entrée en matière, on attend donc l’album avec curiosité (à paraître en octobre).
Les trop sous-estimés Low (patronyme propice à tous les jeux de mots ce soir) enchaînent sous une pluie qui devient vraiment gênante et douloureuse. Je fais l’effort de quitter mon abri pour me rapprocher. Il faut dire que depuis leur prestation incroyable dans l’auditorium du Primavera en 2010 (l’album The Great Destroyer joué dans son intégralité), je respecte profondément ce groupe. Le concert sera du même acabit : une maîtrise parfaite, des voix sublimes, les percussions martelées par Mimi Parker claquent, l’apogée étant atteinte sur un "Monkey" toujours émouvant. Certes, le slowcore des Américains atteint les cimes sans jamais trop s’écarter du chemin, mais c’est magnifique.
Les Cults, eux, sont précédés d’une hype controversée sur le Net. Le duo de Brooklyn, formé de Jenny Lewis et Johnny Rice, s’est agrandi pour l’occasion ; c’est donc en formation complète qu’ils viennent présenter leurs mélodies sixties acidulées. Le premier titre (le pourtant très bon "Abducted") beuglé en force par la chanteuse donne quelques signes inquiétants de faiblesse. La suite sera pourtant sympathique, leur pop sautillante redonnant quelques couleurs à un public frigorifié. Le passage sera bref mais prometteur pour la suite.
C’est au tour de Blonde Redhead, les chats noirs du festival, de braver la météo : leur dernier passage en 2004 avait dû être amputé de moitié suite à un des plus gros orages jamais vu à Saint-Malo… Ce soir, le concert est maintenu mais les conditions sont extrêmes. C’est dans la douleur que je me résous à reposer mon organisme un peu fatigué et à suivre de loin leur prestation, à l’abri. Je m’en mors vite les doigts tant le concert semble parfait. Certains titres tapent très fort et la voix singulière de Kazu (ainsi que sa tenue toujours très courte, jupe et bottines blanches) marque les esprits.
Revigoré, je patauge avec prudence dans la gadoue en évitant les festivaliers désinhibés par l’alcool et autres drogues plus ou moins douces qui se livrent à des glissades sympathiques (tant qu’elles n’impliquent pas les malheureux passant à proximité). L’heure est propice à la connerie et mieux vaut surveiller ses arrières.
The Kills débarquent, rageurs. La mayonnaise a un peu tourné et l’effet de surprise ne fonctionne plus trop. On ne croit plus à la tension et au jeu de séduction entre eux, d’ailleurs ils ont un peu renoncé à y jouer eux-mêmes (malgré la défection de Kate Moss, désormais Mme Hince, qui a préféré rester au sec pour le soulagement des organisateurs qui redoutaient ses exigences) et se concentrent sur l’âpreté de leurs compositions.
Ils sont plutôt en forme, Alison Mosshart se démène comme une diablesse, s’aidant parfois d’une guitare un peu factice pour libérer son énergie ; Jamie Hince foule la grande scène en haranguant la foule. Vu leur état, ils ont dû s’accorder une petite ballade sous la pluie ou alors les loges ne sont plus étanches ? En tous cas, ils compatissent et nous gratifient de réguliers "Fucking rain" qui finissent par être efficaces puisque la pluie s’arrête pour la première fois de la soirée. Le mal est déjà fait, le site est méconnaissable, transformé en marécage où les bottes sont obligatoires.
Côté musique, ils piochent allègrement dans leur désormais riche discographie et le dernier album fonctionne bien (le terrible Future Starts Slow met notamment le feu aux poudres et réchauffe nos pauvres corps meurtris). 1h05 et puis s’en vont, une prestation un peu sage mais efficace.
La pluie s’étant arrêtée, plus d’excuse pour esquiver le concert de Battles. Dans la lignée des Liars l’an passé, le trio (un peu bancal depuis le départ de leur chanteur) nous propose un show foutraque, qui tient plus de la prouesse technique que de la ligne mélodique. Le public en redemande, le batteur n’est pas de ce monde et se démène comme un forcené, un couloir de double claviers inclinés à 45° permet à l’un des membres de faire sa gymnastique tout en jouant quelques notes par ci par là. La chanteuse des Blonde Redhead intervient sur un titre, à mille lieux de son répertoire habituel. Le tout est déroutant et comme ils prennent plus de plaisir que moi, je préfère me retirer délicatement pour rejoindre lit douillet et couette chaude. Les groupes présents ce soir étaient à la hauteur mais les conditions vraiment pénibles. Demain est un autre soir… enfin j’espère. |