Comédie dramatique de Lukas Bärfuss, mise en scène de Yvon Lapous, avec Florence Bourgès, Bertrand Ducher, Nigel Hollidge, Yvon Lapous, Marilyn Leray et Yvette Poirier.
"Le voyage d’Alice en Suisse" n’a rien à voir avec l’emblématique héroïne de Lewis Carrol, encore que, la tête dans un sac plastique, l’Alice de l’affiche en robe de princesse rouge évoque de dangereuses traversées du miroir.
Sur le sujet sensible et polémique de l’euthanasie, loin du théâtre métaphysique de controverse éthico-idéologique et dépourvue de morbidité ou de caractère mortifère, la partition de Lukas Bärfuss - auteur suisse alémanique peu connu encore en France dont l’écriture, pour le moins radicale, a été découverte avec "Les névroses sexuelles de nos parents" monté par Hauke Lanz en 2009 Théâtre Paris-Villette - s‘inscrit dans le registre de la docu-fiction théâtrale.
Sous titré "Scènes de la vie de l’euthanasiste Gustav Strom" et composée de micro-scènes formant une série de vignettes aux dialogues scalpélisés jusqu’à l’os et plombés, au bon sens du terme, d’un humour noir aussi décapant que savoureux et roboratif qui ramène la mort à sa réalité objective, un événement ordinaire et banal, il est articulé autour du personnage d’un euthanasiste.
Un modeste médecin suisse qui, de manière quasiment artisanale dans un modeste appartement n’ayant même pas vue sur l’apaisante nature helvétique à la manière des cliniques spécialisées qui assurent une mise en scène consensuelle des fins de vie, fournit une assistance au suicide "brute de décoffrage" pour les malades incurables déterminés.
Si Lukas Bärfuss circonscrit le dilemme en abordant, par touches impressionnistes, les pierres d’achoppement du débat et de la réflexion portés en place publique sans toutefois y apporter de conclusion, il donne néanmoins quelques indices sur une certaine philosophie de la vie qui tiennent en trois axiomes : la solitude intrinsèque et inéluctable de la condition humaine, son inexorable finitude "matérielle" signifiée par ceux qui restent, avec la parabole du chat et de la tasse à thé, et, par le biais très inattendu des théories économiques, sur la propension de l'humain à détourner la réalité angoissante.
Dans une scénographie minimaliste d’un blanc clinique, qui évoque tant une salle d’attente, le particularisme suisse cerné par la CEE avec son no man’sland juridique que le fameux moment du passage, Yvon Lapous signe une remarquable mise en scène dans la même ligne d’ascèse théâtrale.
Entouré de Bertrand Ducher, étonnant en propriétaire solidaire qui propose un deuxième appartement pour que l’entreprise tourne à meilleur régime, Florence Bourgès, en assistante énamourée, Marilyn Leray, éloquente dans le rôle titre écorchée vive face à une mère fonctionnant sur le mode ambivalent classique, Yvette Poirier saisissante, et de Nigel Hollidge qui fait une composition époustouflante de malade britannique indécis, il interprète avec acuité le médecin dont la simplicité d’expression et l’apparente évidence des actes revêtent un caractère troublant voire inquiétant.
La Compagnie Le Théâtre du Loup-Nantes propose donc un spectacle de grande qualité. |