Dans mon panthéon personnel des grands saxophonistes, ces très subjectifs chouchous à l'ombre desquels s'écrivent les autres histoires de cuivres venteux, il y avait John Coltrane et Akosh Szelevényi – il y a également depuis quelques mois Colin Stetson. Précisément parce que chacun de ces trois-là a su être plus qu'un simple saxophoniste.
Avec son nom de bâtonnet de poisson enchapeauté, l'américain souffleur de saxophone basse, que l'on avait précédemment entendu avec un entrain plus ou moins relatif sur un grand nombre de disques (et notamment, en toute popularité, ceux des souvent surestimés Arcade Fire ; de façon plus recommandable avec Bell Orchestre), offre le deuxième volume de son projet solo : New History Warfare. Et donne instantanément à ce projet une dimension nettement supérieure.
Moins jazzy que son prédécesseur, Judges (le volume two en question, donc) est une œuvre riche, dense, complexe, expérimentale, originale, personnelle – et malgré tout éminemment accessible, et bien souvent entraînante.
Stetson y livre en toute virtuosité des pièces dont on peinera à croire qu'elles sont le fruit d'un saxophone, qui plus est solitaire et "recorded live in singles takes with no overdubs or loops". L'homme maîtrise en effet parfaitement des techniques proches de celles qu'utilisent les joueurs de didgeridoo : respiration "continue" ou "circulaire" (permettant de prolonger l'expiration pendant plusieurs minutes sans interruption), vocalises de gorge ouvrant l'instrument à une étonnante diphonie, percussions réalisées avec la anche ou les touches de l'instrument...
En résulte un univers inouï, au sens propre du terme, impressionniste, tout d'évocations et de mystères, parfois proches de compositions électroniques, qu'il aura fallu toute la méticulosité d'Efrim Menuck, armé de vingt-quatre micros, pour capturer vivant en studio.
Pour finir d'enrichir cette musique supra-saxophonique, Laurie Anderson et Shara Worden (My Brightest Diamond) viennent laisser planer quelques lignes de leurs chants fragiles, dont l'éther s'accorde de façon saisissante avec la rage souterraine du saxophone de Stetson.
Accueil critique unanime parfaitement mérité, l'un de ces rares albums irréprochables : aussi inspiré que virtuose, tout simplement beau et jamais ennuyeux. De ces albums qui vous hantent une vie entière. |