Spectacle écrit et mis en scène par Joël Pommerat, interprété par Alfredo Cañavate, Noémie Carcaud, Caroline Donnelly, Catherine Mestoussis, Deborah Rouach, Marcella Carrara, Nicolas Nore et José Bardio.
C’est une une voix féminine à l’accent étranger (celle très évocatrice de Marcella Carrara), à la fois très loin et très proche et dont les mots sont dessinés dans l’espace par un énigmatique "narrateur gestuel", dans une scénographie qui nous emmène au milieu des nuages (des images projetées des trois côtés de la scène), que commence l’histoire de "Cendrillon" revisitée par Joël Pommerat.
Après la mort de sa mère et parce qu’elle n’a pas compris les derniers mots que celle-ci lui prononçait, Sandra demeure dans le souvenir douloureux de n’avoir pas pu (ou su) la retenir. Plus tard, dans la maison de la nouvelle compagne de son père, entièrement construite en verre, Sandra ne pense qu’à sa mère.
Maltraitée par la marâtre et ses deux filles, elle est réduite aux travaux ménagers qu’elle accepte comme une peine expiatoire qu’il lui faut endurer. Dans l’obscurité de la pièce où elle dort à la cave, la nuit l’envahit de cauchemars. Affublée d’un corset, accablée de travail, elle vit au rythme des sonneries de sa montre-réveil, qui lui rappellent sans cesse de penser à sa mère.
Un jour, le roi invite la famille à une soirée en l’honneur de son fils. Tous iront, sauf Sandra bien-sûr… Mais c’est sans compter sur une fée blasée sortie d’un placard, qui rate ses tours de magie mais encourage Sandra à aller danser et profiter de sa vie…
Avec cette troisième adaptation de conte (après "Le Petit chaperon rouge" et "Pinocchio"), Joël Pommerat met une nouvelle fois à l’honneur un enfant face au monde des adultes, sa violence et son cortège de bassesses. Ici, Sandra sortant de l’enfance est touchante d’obstination et de volonté. Contrairement au conte de Perrault, elle affirme son caractère et ne subit jamais. Son malheur, c’est elle qui le décide. L’auteur montre les traumatismes liés à l’enfance, aux mots qui sont dits ou à ce qu’on en comprend.
Tous les autres personnages, excepté le jeune prince qui vit pratiquement la même situation, sont burlesques. L’humour est là pour masquer une extrême gravité. Le calvaire de Sandra résonne avec une grande modernité et son comportement évoque n’importe quel ado en souffrance. Par la grâce de l’amour, celle de sa marraine ou celle du prince, Sandra se construit, arrive à dépasser la mort de sa mère et retrouve son désir de vie sans perdre son amour pour elle. En cela, elle fait l’apprentissage de sa vie d’adulte et parvient à transformer en force la tristesse de l’absence.
Avec des effets sonores comme dans "Le Petit chaperon rouge", mais en y rajoutant la partie visuelle : des projections (et toujours un travail magnifique sur la lumière) d’Eric Soyer qui amplifient la fantasmagorie de l’ensemble, Joël Pommerat livre un chef-d’œuvre absolu où comédiens et technique s’équilibrent à la perfection avec des scènes d’une sublime beauté et des acteurs formidables.
Tous sont excellents, mais on ne peut qu’être subjugués par l’émotion que procure Deborah Rouach, frêle et forte Cendrillon, dont la bouleversante interprétation est pour beaucoup dans la réussite incontestable de ce joyau. |