Il est des projets désespérés.
Souvenez-vous des chants funéraires que vous avez pu entendre – ceux qui se disent en une autre langue, dont la tristesse vous transporte tout de même ; l'atonale lenteur d'un glas lointain, pour un défunt anonyme ; le silence soudain tombé sur une maison où vous n'étiez que de passage, lorsque s'annonce la disparition d'un être cher à d'autres, que vous ne connaissiez pas.
C'est à une semblable muette tristesse que The Side Of Her Inexhaustible Heart vous confrontera. L'album est le seizième (!) de Dakota Suite, le troisième pour la seule année 2011. Et c'est un double album. Si la formation, à géométrie variable, est entièrement au service de la dépression et de la catharsis de Chris Hooson, l'auteur derrière tout cela, elle livre cette fois une authentique collaboration avec le pianiste français Quentin Sirjacq.
Largement dominé par la présence d'un quatuor à cordes classique et animé par une volonté clairement minimaliste, l'ensemble dégage une mélancolie que certains jugeront écrasante, quand d'autres n'y verront que beauté. Imaginez : le plus fantomatique d'Erik Satie, la lenteur de Low et la tristesse du premier Polar ou du premier Sofia (de l'époque où Robin Proper-Sheppard et Eric Linder se tiraient la bourre pour le titre de chanteur le plus affligé du monde).
Certainement, le message se veut-il plus positif, puisque Chris Hooson y rend hommage à sa femme Johanna qui, outre qu'elle réalise depuis toujours les jolies photographies noires, blanches et déprimantes qui font l'artwork des disques de Dakota Suite, a la gentillesse de le supporter et le soutenir dans sa difficulté à vivre. Que l'on n'y voit pas malice de la part du chroniqueur : c'est Hooson qui le dit. Mais il reste derrière cette reconnaissance une noirceur certaine.
Il est de fait que l'homme n'est pas en paix avec ce monde. Il avait d'ailleurs décidé de mourir en 1995. Pas de se suicider : de mourir. Il s'est couché, bien décidé à trouver en lui-même assez de volonté pour tout simplement cesser de vivre, les ressources mentales d'un coupe-circuit, d'un bouton off, d'un arrêt d'urgence à enclencher – qu'il n'a manifestement pas trouvé. Alors il compose de la musique, pour exprimer le mal que ce monde lui fait. Une musique belle et contemplative, certainement quelque peu autoappitoyée et pessimiste. Mais qu'il est bon, parfois, de se laisser couler dans la noirceur, la sienne propre ou celle d'un plus artiste que soi, qui aura trouvé à l'exprimer si parfaitement qu'Hooson et Sirjacq.
Pour le reste, Hooson travaille à plein temps. Il aime le football et sa femme. Il vit à Leeds et garde pour John Lennon une certaine obsession, qui lui vient de son enfance. La vie continue, donc. Avec ses bons moments. Qui suffisent certainement à surmonter les autres, ceux où l'on est si heureux d'être triste. |