Stefan Zweig est un auteur autrichien du début du 20ème siècle, véritable touche-à-tout de la littérature : d’abord reconnu pour sa poésie, il s’illustre ensuite par ses nouvelles et ses talents de biographe. C’est aujourd’hui son travail de dramaturge que Grasset a décidé de faire (re)découvrir, en publiant une de ses pièces écrites en 1919 : Légende d’une vie.
Légende d’une vie est une œuvre composée de trois actes, de deux lieux et de six personnages - dont trois principaux. Pas de quoi s’emmêler, ni se perdre entre les décors et les rôles. D’emblée, on sent que l’écriture de Zweig va à l’essentiel. Et l’essentiel, dans cette pièce, le problème posé, c’est celui de l’héritage familial lorsqu’il peut conduire à la négation de l’individualité.
Friedrich est le fils d’un écrivain célèbre, devenu une véritable légende depuis son décès, grâce au travail de son épouse et de son biographe. Il a dû vivre avec - et à travers - les souvenirs de cet homme admiré de tous, les portraits déformés par sa gloire et l’obsédant sentiment de ne pouvoir être un digne représentant de cet écrivain illustre. Au début de cet acte, il est attendu pour une lecture de ses premières poésies car, en bon fils, il a choisi d’emprunter la même voie que son talentueux père. Heureusement, l’arrivée inopinée d’une vieille femme à l’identité mystérieuse va permettre au jeune homme de déchirer ses habits de progéniture tourmentée. Maria est l’amour de jeunesse de Karl Amadeus Franck, celle qui l’a connu dans les mauvais moments, lorsqu’il n’était encore qu’un être ordinaire au talent inconnu, au cœur embrouillé, aux amours compliqués, peut-être même aux décisions lâches. Pour Friedrich, ce sera l’occasion de tuer "Dieu le père" en le rendant à sa condition d’homme. Pour sa femme, ce sera le moment d’accepter de laisser partir cet époux si merveilleusement ré-inventé durant le deuil.
Stefan Zweig a écrit une pièce étonnante de complexités. Légende d’une vie met en scène de nombreux thèmes : la création et sa liberté, l’enjeu de la dévotion portée à des défunts célèbres, la douloureuse étape de la séparation d’avec ses parents, l’affirmation de son identité. Sujets lourds, pièce fluide ; voilà le surprenant résultat de cette œuvre, voilà où réside son originalité. Le lecteur oublie qu’il s’agit de théâtre ; l’auteur autrichien enchaîne les scènes sans saccade, sans à-coup inutile, et l’on se glisse d’une page à l’autre, attiré par les révélations de Maria, emmené par l’écriture de Zweig. |