Virginia Woolf est une écrivaine anglaise du début du 20ème siècle dont l’œuvre a su faire évoluer considérablement la littérature anglophone. Son talent a été admiré, ses états d’âme à la frontière de la folie ont fasciné. Elle est donc devenue elle-même le sujet de nombreux livres : on tente d’analyser ses romans, son écriture, d’y déceler sa maladie mentale, de déterminer l’empreinte de la dépression dans ses mots.
Christine Orban avait également décidé de lui consacrer un roman, il y a vingt ans : "Une année amoureuse de Virginia Woolf". Il est réédité aujourd’hui sous le titre Virginia et Vita, après avoir été revu intégralement par son auteur.
Virginia et Vita est avant tout l’histoire d’une passion : celle de deux femmes, anglaises, mariées, écrivaines, qui se sont éprises l’une de l’autre dès leur première rencontre. Un amour qui ne peut être confondu avec une simple amitié, qui ne peut être dissimulé mais qui ne peut se vivre totalement non plus, dans cette Angleterre du début des années 1900. On sait, on chuchote, on ne dit pas. Les maris acceptent, aimants et impuissants ; leurs épouses leur restant attachées et reconnaissantes.
Vita est légère, frivole, belle, sûre d’elle. Virginia est anxieuse, parfois sévèrement dépressive, cloîtrée dans sa souffrance, emmurée dans ses obsédantes pensées. L’une jouit de la vie, l’autre ne peut que regarder les plaisirs de loin, les toucher rarement. Vita voyage, rencontre des gens. Virginia rumine et jalouse ces nouvelles conquêtes. Alors Vita vivra et Virginia écrira. Leur passion ; améliorée, fantasmée, rêvée. L’écriture permet tout, l’écriture sauve tout. Vita devient Orlando, personnage au sexe changeant, qui traversera les siècles et permettra enfin à leur histoire d’amour d’exister pleinement.
Christine Orban réussit le remarquable exploit, au fil de ce roman, de faire entrer le lecteur dans le processus de la création littéraire. Fidèle à son écriture sobre et juste, elle dépeint l’excitation de l’écrivaine, sa jubilation à modifier la réalité, à la modeler à sa convenance, à savoir s’emparer des mots pour se venger des douleurs incurables par les médicaments, à s’extraire de ce corps qu’elle n’aime pas, de cet esprit qu’elle ne contrôle pas toujours, de cette existence qu’elle déteste souvent. Ecrire, c’est aussi douter évidemment, c’est souffrir de ne pas savoir dire ce qui se bouscule dans la tête, c’est s’étouffer des idées qui ne se transforment pas assez vite en phrases mais, au bout du compte, c’est quand même se sauver. Au moins, provisoirement, pendant quelques pages. Dans Virginia et Vita, on lit ainsi l’amour et l’écriture ; les deux passions se mélangent dans la campagne et l’aristocratie anglaises.
Les livres de Christine Orban ont ceci d’étonnant qu’ils allient style simple et propos complexes. Dans son dernier roman (Le pays de l’absence), elle évoquait sans larmoyer la maladie de sa mère. Dans Virginia et Vita, elle réussit à décrire les dépressions de son héroïne sans la réduire à cette infirmité, elle raconte son amour pour une femme sans développer exagérément la question de son homosexualité, elle évoque le triste sort du mari trompé mais compréhensif sans en faire un martyre. La retenue interdit ainsi tout propos facile et lui permet d’approcher au plus juste ces sujets. Elle ne dit pas, elle transmet. On souffre avec Virginia, on aime aussi, on construit la vie d’Orlando, on le lit et, à la fin du roman, le lecteur rêve de devenir écrivain. |