Drame de Victor Hugo, mise en scène de Christian Schiaretti, avec Robin Renucci, Jérôme Kircher, Roland Monod, Isabelle Sadoyan, Clara Simpson, Gilles Fisseau, Yves Bressiant, Philippe Dusigne, Claude Kœner, Romain Ozanon, Antoine Besson, Luc Vernay, Antoine Lyes, Vincent Vespérant, Nicolas Gonzales, Juliette Rizoud, Yasmina Remil, Olivier Borle, Clément Morinière, Julien Tiphaine et Damien Gouy.
"Ruy Blas" de Victor Hugo, pièce mythifiée comme le prototype du drame romantique, a toujours divisé :drame de la jeunesse et de la lutte des classes avec son héros du peuple porteur du message révolutionnaire de l'ascenseur social pour les hugophiles, pièce pittoresque de décorateur et de costumier à l'intrigue ridicule "qui ne se soutient que par les trilles de rossignol de ses vers d'amour et par le personnage de Don César" pour ses détracteurs.
Aux spectateurs, dont les catégories spécialement visées par l'auteur qui indiquait, dans la préface de la pièce, "vouloir plaire aux femmes, aux penseurs et à la foule", d'apprécier cette tragi-comédie dans laquelle vengeance, complot, amour impossible et décadence des moeurs politiques sont au coeur d'une intrigue qui n'a toutefois rien de commun avec le théâtre politique de Corneille.
Sur toile de fond d'une Espagne déliquescente vampirisée par les grands du royaume qui pillent les caisses sans vergogne, Don Salluste, ministre ambitieux et machiavélique, tombé en disgrâce par sanction de la reine pour avoir engrossé une de ces suivantes, ourdit sa vengeance.
Il instrumentalise Ruy Blas, un de ses laquais qu'il a habilement attaché à sa cause et qu'il a paré de la qualité de son cousin Don César, ruiné et dévoyé qu'il a exilé, pour qu'il séduise la reine et la condamne au même déshonneur. Ce dernier est d'autant facile à convaincre qu'il est amoureux de la reine, celle-ci, par ailleurs, n'étant pas insensible à son charme, et endosse si bien le pourpoint qu'il entreprend de réformer le gouvernement. L'affreux méchant parviendra-t-il à ses fins ?
Christian Schiaretti signe un grand spectacle de facture classique en donnant à entendre le fameux souffle hugolien, en ce qu'il implique de surabondance et de lyrisme emphatique, un spectacle d'une intelligence et d'une rigueur remarquables, respectueuse du texte et de l'auteur, dans la grande, et jamais désuète ni poussiéreuse, tradition du théâtre de répertoire.
Pour canaliser l'écriture échevelée de Hugo qui prolifère dans tous les registres, de la comédie au drame, et verserait vers la comédie de cape et d'épée de divertissement, Christian Schiaretti opte pour une diégèse claire avec un parti pris résolument pictorialiste qui inscrit la partition théâtrale dans une vraisemblance historique et une représentation réaliste tout en imprimant à cette dernière un rythme relativement lent qui introduit la distanciation fictionnelle.
Ainsi, de nombreuses scènes constituent un tableau du 17ème siècle - Peter Greenaway et Velasquez ne sont pas loin - et les choix de scénographie concourent à la reconstitution d'un Siècle d'or espagnol figé dans un protocole archaïque.
Utilisant tout le volume du plateau pour signifier le faste et la pompe royale, Rudi Sabounghi a conçu un théâtre dans le théâtre décorés d'azuelejos et émaillés de portes dérobées, à la fois monumental et simplissime, dans lequel, sous de sublimes lumières crépusculaires de Julia Grand, sont convoqués, comme surgis du passé, les personnages vêtus de somptueux costumes d'époque confectionnés par Thibaut Welchlin.
La direction d'acteur, qui maintient l'unité de ton, est sans faille et les grandes scènes chorales sont magnifiques, même si les comédiens ne disposent pas tous des moyens nécessaires pour porter le texte.
Comme le laquais devenu prince, Nicolas Gonzales, qui a le physique de l'emploi et qui se ne faillit pas dans la célèbre tirade du "Bon appétit, messieurs!", se prend parfois un peu trop au jeu et, péché de jeunesse sans doute, appuie parfois fort sur le vibrato comme il abuse des tremolos.
Dans le personnage comme dans son costume, Juliette Rizoud ne semble pas pas tout à fait à l'aise dans le rôle ambigu de la jeune reine allemande, Heidi élévée au grand air qui se retrouve confinée dans un palais régi par un cérémonial rigide, délaissée par un roi chasseur, qui s'octroie des émotions à bon compte mais sans toutefois assumer que ce soit pour un ver de terre, car l'étoile ne regarde que le firmament.
En revanche, Robin Renucci est magistral dans le rôle de Don Salluste auquel il apporte, par la noirceur dramatique et la maîtrise de la diction et de la gestuelle, une réelle valeur ajoutée faisant du méchant un vrai caractère. De même pour Jérôme Kircher, excellent, qui campe avec beaucoup de panache le matamoresque Don Cesar, hédoniste ruiné et malfrat gaillard qui a des principes, et qui forme avec Robin Renucci un beau duo janusien.
Tous les seconds rôles sont parfaitement pourvus et interprétés dont Roland Monod et Isabelle Sadoyan, tous deux savoureux respectivement en vieux majordome amoureux d'une jeunesse et en duègne, Clara Simpson irrésistible en camerera mayor, et Yasmina Remil fort convaincante dans le rôle de confidente de la reine. |