Réalisé par Roland Emmerich. Angleterre/Allemagne. Thriller.
2h18. (Sortie 4 janvier 2012). Avec Rhys Ifans, Vanessa Redgrave, David Thewlis et Derek Jacobi.
Comme Molière, Shakespeare est un mystère et simplement l’affirmer c’est déjà entrer dans une polémique qui met en rage les spécialistes du plus grand dramaturge de tous les temps.
Victor Hugo en faisait un voleur de chevaux et, pour couper court à toute discussion, Alphonse Allais affirmait que "Les pièces de William Shakespeare n’étaient pas écrites par William Shakespeare, mais par un autre homme qui s’appelait... William Shakespeare".
Avec "Anonymous", c’est donc au tour du cinéma de s’emparer du grand Bill, l’auteur de 37 pièces qui ont changé le cours du monde... mais dont il ne reste aucun manuscrit.
Alors, et si... Et si ce n’était pas un acteur, porté sur les plaisirs et réputé frisant l’illettrisme, qui avait écrit le merveilles du théâtre élizabéthain, mais plutôt un aristocrate humaniste épris de culture et ayant l’ambition de faire entrer la langue et le théâtre anglais de plain pied dans la Renaissance ?
Roland Emmerich reprend la thèse selon laquelle ce serait le duc d’Oxford qui aurait, anonymement, écrit les pièces que William Shakespeare aurait signées à sa place. Son film, riche en bruit et en fureur, se veut donc une illustration colorée de la fin de règne d’Elizabeth Ier, un divertissement plaisant reconstituant de manière convaincante une époque encore pétrie de Moyen-Age mais entrant tout de même dans l’ère moderne.
Si le cinéaste allemand n’était pas l’auteur d’"Independance Day", de "Godzilla" ou d’un film avec Jean-Claude Van Damme, "Universal Soldier", bien des critiques seraient plus indulgents, voire laudateurs, devant ce film somme tout assez brillant. Comme s’il était aussi impossible à un faiseur de "blockbusters" tel que Roland Emmerich de faire un beau film populaire qu’à un acteur sans qualités d’écrire "Roméo et Juliette" ou "Hamlet".
Et pourtant, que ce soit esthétiquement, avec des partis pris pour reconstituer Londres qui rappellent ceux de Rohmer recréant le Paris de 1793 dans "L’Anglaise ou le Duc", ou narrativement, cet "Anonymous" ne manque ni d’idées ni de finesse.
Qu’un grand d’Angleterre, qui aurait pu être roi, sacrifie son destin historique pour devenir, sans en tirer aucun fruit glorieux, et sans vraiment le comprendre, le plus grand écrivain de tous les temps est en soi une tragédie quasi shakespearienne qui peut arracher quelques larmes.
Surtout qu’Emmerich met en avant un acteur prodigieux, Rhys Ifans qui, trouve enfin un rôle à sa mesure. Que l’acteur dilettante toujours à son avantage depuis "Human Nature" de Michel Gondry ait été choisi par Emmerich montre que celui-ci est un vrai directeur d’acteur. C’est sans doute aussi ce que confirmerait ce trésor national britannique qu’est Vanessa Redgrave qui peut, dans “Anonymous”, composer une étonnante Élizabeth au crépuscule de sa vie.
Le soi-disant lourdaud Emmerich se permet même une amorce de film très étonnante, et, pour la première fois depuis "L’entrée en gare de La Ciotat", c’est le début d’un film qu’il ne faut pas absolument pas raconter. On pourra simplement dire qu’on y retrouve avec un immense plaisir Derek Jacobi, le plus grand acteur shakespearien de notre époque.
Ne croyez donc pas les étiquettes que l’on accole aux tableaux comme aux réalisateurs : mieux vaut un très belle oeuvre de Tartampion qu’une croûte de Van Gogh, un film réussi de Roland Emmerich qu’un Clint Eastwood survanté.
Osez découvrir le théâtre du Globe, Ben Johnson et Marlowe, Shakespeare et la hache du bourreau s’abattant sur Essex dans un froid glacial. Osez le cinéma du samedi soir qui veut procurer de vrais émotions sans esthétiser la violence ou faire se rencontre Brad Pitt et Marion Cotillard.
Et puis, grâce à Emmerich, vous aurez le droit à de larges et beaux extraits de pièces de Shakespeare (ou d’Oxford), joués comme le bon peuple londonien de 1590 pouvait s’en délecter.
Quitte à fâcher définitivement les facheux, disons-le tout net : cet "Anonymous" vaut largement "Amadeus"...
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