Comédie dramatique de Sam Holcroft, mise en scène de Jean-Pierre Vincent, avec Suzanne Aubert, Daphné Biiga-Nwanak, Kim Biscaino, Sébastien Chassagne, Chloé Chaudoye, Julien Frégé et Sophie Magnaud.
Souvent ancré dans la réalité sociale ou sociologique, le théâtre anglais contemporain n’en finit pas d’irriguer de jeunes pousses qui finissent rapidement par occuper les scènes françaises.
C’est aujourd’hui le cas avec "Cancrelat" de Sam Holcroft, qui, contrairement à ce que le laisserait croire son prénom, est une jeune femme de 28 ans. Comme ses homologues d’outre-Manche, elle a d’abord une qualité indéniable : elle sait écrire des rôles, dessiner avec précision leur contour et n’en laisser aucun sur le bas-côté.
Des sept personnages de "Cancrelat", aucun n’est en quête d’auteur. Chacun a une vraie partition à défendre et personne n’est enfermé dans les clichés obligés et les codes attendus quand on décrit un groupe de grands adolescents.
Ce n’est pas un hasard si Jean-Pierre Vincent, connu pour son parcours exceptionnel de professeur d’art dramatique, s’est emparé du travail de Sam Holcroft pour y installer une troupe de jeunes comédiens tous excellents, tous capables de ne pas jouer "jeunes acteurs" sans pour autant perdre leur indéniable fraîcheur.
Dans "Cancrelat", cinq lycéens perturbés, au bord de l’échec et de l’âge adulte, font face à un professeur qui tente de leur inculquer des notions scientifiques. On y aborde les notions de sélection naturelle, d’adaptation, de sexualité dans une atmosphère longtemps ambiguë : "Cancrelat" semble se dérouler dans notre espace-temps, mais sourd des personnages une angoisse d’abord diffuse avant de se préciser. Car, ce n’est pas seulement la perte prochaine de leur enfance qui les perturbe. Tout près de cette salle de classe où ils sont en retenue, résonne l’écho d’une guerre qui se rapproche.
Comme les cafards dont leur parle cette prof prisonnière de son rôle social, et qui aimerait se montrer humaine pour les protéger des périls qui les guettent, les jeunes gens sauront-ils être des survivants ? Est-il d’ailleurs encore possible de survivre ?
Construite en deux parties bien séparées, matérialisées par la reprise de la même scène dans laquelle un garçon "pète les plombs", la pièce de Sam Holcroft perd volontairement en rythme quand la guerre devient aussi concrète qu’un uniforme maculé de sang. Chaque personnage vient alors s’épancher. L’unité de façade s’estompe, s’écroule. Plus question pour une prof désemparée de faire une leçon, de faire la leçon. On a peur, on est seul et sa vie ne vaut pas plus que celle d’un cancrelat.
Mais le théâtre prometteur de Sam Holcroft garde une lueur d’espoir. Même si les femmes s’amusent à mimer la guerre que font les hommes, elles qui peuvent être mères ne s’y jetteront jamais de bon cœur. |