Réalisé par Leila Kilani. France/Maroc/Allemagne. Drame.
1h46. (Sortie 1er février 2012. Avec Soufia Issami, Mouna Bahmad, Nouzha Akel et Sara Betioui.
Elle se bat. Elle enrage. Elle en veut. Elle a langue bien pendue. Elle se défend. Elle attaque. Elle fonce, elle se défonce.
Dans un film indépendant français, on en ferait une boudeuse mutique, un témoin triste et déjà résigné avant même que le film commence.
La réalisatrice marocaine Leïla Kilani s’y refuse et préfère la transformer en "jeune fille courage". Badia (Soufia Issami) décortique des crevettes et aspire à autre chose. Tiens, elle se verrait bien dans le textile, dans la zone franche de Tanger où il faut montrer patte blanche quand on pue le crustacé.
Et puis, il faut tenter l’impossible. Rêver que les petits larcins mènent au gros coup. Au risque d’être la dupe d’une combine entre filles. Badia, on peut le dire parce que c’est dit dès le début de "Sur la planche", sera la dindon de la farce marocaine. Qu’importe, elle aura braver le destin et surtout refuser qu’on lui prédise qu’elle n’en avait pas.
Leïla Kilani dit qu’elle a pensé à "Wanda" de Barbara Loden pour écrire et faire vivre son personnage. C’est vrai et c’est faux. Il y a chez Badia autant de volonté que chez Wanda, mais peut être moins de résignation. Sa rage n’est pas une plainte. Il y a chez elle une énergie désespérée à l’aune de ce que montre Leïla Kilani de la vie de ces jeunes filles perdues dans la machine capitaliste mondialisée.
"Sur la planche"a le mérite incontestable de jouer la fiction, tout en montrant de manière froide et documentaire le sort des ouvrières marocaines. On n’est pas dans la sociologie, même si le film en explique long sur les codes sociaux marocains.
"Sur la planche" est un thriller politique, économique, féministe et une sacrée leçon pour ceux qui continuent à filmer par le petit bout de la lorgnette de la grande Histoire. Le "Printemps arabe" n’a pas (encore) frappé le Maroc. Mais s’il venait à éclore là aussi, "Sur la planche" l’aurait annoncé.
Tourné à l’arrache dans les rues de Tanger, destiné autant au public marocain qu’aux spectateurs de partout intéressés par le bruit du monde, "Sur la Planche" n’est pas un de ces films où l’on perçoit l’influence de ses "commanditaires" français.
C’est un film libre, fort, dense. Les beaux visages de ces quatre filles marocaines sont frais comme l’espoir d’un autre cinéma. Personne ne sera insensible à la tête décidée et rigolote de Soufia Issami. On espère bientôt la revoir de l’autre côté de la Méditerranée... |