Monologue dramatique d'après un texte de Franz Kafka dit par Jean-Quentin Châtelain
dansune mise en scène de Jean-Yves Ruf.
Attention, spectacle sous tension !
Il arrive, hésitant, indécis, entre noir et pénombre, et affronte soudain les retardataires ainsi que les toussotements, ce fléau théâtral mille fois pire que les portables. Incident d’un soir ou élément récurrent de la mise en scène de Jean-Yves Ruf ?
En tout cas, une fois mis au pas les fauteurs de trouble, le climat est installé et Jean-Quentin Châtelain, ses marques trouvées, est désormais prêt déverser le torrent de reproches que Franz Kafka adresse à son géniteur dans "Lettre au père".
Acteur hier brechtien et distancié, Jean-Quentin Châtelain invente ici une forme plus proche du stand-up que de la récitation "académique" d’un grand texte littéraire porté à la scène. Contre-proposition à la virtuosité d’un Luchini ou au professionnalisme d’un Huster, Châtelain cherche l’aléa pour ne pas être la mécanique de sa propre mécanique.
Car le texte de Kafka ne doit pas se dire ni se suivre tranquillement, mais dans la même inquiétude qui saisissait l’auteur de "La Métamorphose" devant ce père-ogre, impressionnant, mal-aimant et pourtant qu’il rêvait d’aimer.
Jean-Quentin Châtelain appuie sur certains mots qui font mal, écorche ceux qui auraient pu lui faire du bien. Il marche sur cette scène vide entre lumière et semi-obscurité, cherchant à comprendre pourquoi ce père était cette statue du commandeur effrayante qui a laissé le jeune Kafka impropre à tout projet existentiel dont celui d’avoir femme et enfant.
Parfois, Jean-Quentin Châtelain s’assoit sur un des bancs qui constituent l’unique élément de décor. Un peu comme un tennisman à la pause, avant de reprendre l’échange. Mais ici, l’échange est un monologue douloureux . Quand il se saisit d’une bouteille d’eau, il la jette après avoir bu une gorgée. Pas le temps d’être tendre, il faut retourner au filet, inlassablement. Jouer nerveusement avec un mouchoir, le replier dans une poche imaginaire ou le nouer autour du cou pendant que les mots fusent, toujours et toujours. Colère, vaticination, douleur suppurent du texte, sans jamais parvenir à éteindre cet humour désespéré propre au génial tchèque.
L’interprétation de Jean-Quentin Chatelain et la mise en scène faussement erratique de Jean-Yves Ruf font de cette "Lettre au père" comme une bande-annonce du théâtre de Thomas Bernhard. Grâce à leur travail éclairant, la correspondance entre les deux auteurs germaniques n'a jamais été aussi évidente.
Dès lors, leur proposition théâtrale engendre quelque chose de nécessaire et de singulier, qu’on pourrait appeler du "théâtre live", et dont il faut admettre et soutenir la belle fragilité. |