Ce soir là, Sam Nolin a mené mes pas à la Malterie de Lille.
Très souvent peu connaissent la première. Petite, face à la géante deuxième. On l'écoute d'une oreille distraite, se faufilant entre les mots d'une discussion ; un ami, une amie qu'on retrouve – heureux hasard ? – au détour d'un verre au bar : "Ca alors toi ic...dzoing... ? Comment tu v...dzoing... ? Je ne savais pas que tu...dzoing...ssais...dzoing..." Ou au contraire, c'est la révélation – écoute religieuse de cette première – sorte de savoureuse mise en bouche pour la deuxième. Ce soir là, je connais cette fameuse première partie et l'ai déjà appréciée en live, en différé. La découverte, je la réserve pour la deuxième.
Connaître, c'est toutefois un bien grand mot. J'ai découvert Sam Nolin au gré de mon exploration récente de la "scène folk lilloise". En groupe, il fait partie d'une étonnante formation : Tycho Brahé, sorte d'explorateurs du son. Il y a peu, il y oeuvrait encore, interprétant un "I'm a man" explosif et remarqué. Seul, Sam Nolin est Sam Nolin. Sa musique – faut-il à tout prix la mettre dans une case ? – il la décrit "Lo-fi", ce courant underground des années 80 qui cherchait à aller au plus proche du son crade. Sam Nolin me fait penser à un étrange tisseur de notes, déjanté. Sur l'étoffe traditionnelle du folk, il y assemble de manière consciencieuse et mesurée, ses pièces bariolées, dissonantes, criardes, expérimentales, pour produire ce tapis rouge – de l'antifolk ? – indescriptible et captivant.
Puis-je alors être impartiale ? Non. Quoique, cherche-t-on à retrouver dans le live les mêmes sensations des albums ? Vaste question qui faisait débat il y a peu autour de moi. Cela m'avait faite longuement sourire car je n'en démords pas : le live me fait redécouvrir chaque fois les artistes. Il offre des saveurs si différentes... Cela me pousse à dire que, finalement, je ne connais pas Sam Nolin mais voici comment j'ai vécu ce moment :
Il arrive tout à coup, sans un bruit, entouré de breuvages et de guitares. Intimidé ? Réservé ? Concentré ? Ce soir-là est sans nul doute un tournant, l'heure de dévoiler son nouvel album Sad Moments Before The Resurrection sous l'oeil bienveillant de – son inspirateur – Simon Finn. Une mise à nu. D'emblée, il nous offre deux nouveaux titres. Cette voix grave et nonchalante de Lou Reed accompagnée d'une unique mélodie à la guitare acoustique, plante son décor. Cette fois, il sera fragile et personnel. Mais il ne s'enferme pas dans l'intimiste...
La suite du concert nous offre quelques surprises. En cadeau de bienvenue ou de remerciement, il ne manque pas de reformer l'espace d'un titre "Her Marshmallows were Grey", les O'Folk Brothers, avec Nuage Nuage à la guitare pour chanter, le titre favori de Simon Finn. Le jeu de guitare de Sam Nolin m'étonne toujours. ll s'accompagne souvent de son instrument fétiche : la légendaire guitare à trois cordes comme sur "Where are you Jesus ?". Elle donne à sa musique ce côté brouillon et dépouillé, qu'on retrouve dans le timbre de voix. Quant à sa guitare électrique, elle est sans doute endiablée par l'âme d'un rocker. Lorsqu'il la prend, il nous offre des titres complètement délirants de quelques secondes seul ou accompagné par un solo frénétique et dissonant de saxophone. Bien souvent, la fin des morceaux – pourquoi en faudrait-il ? – est apocalyptique, comme pour tourner en dérision ces stars de la scène. Dans ces mots, là encore l'apocalypse, la religion reviennent comme un leitmotiv. Peut-être un pied de nez à 2012 avant la résurrection.
S'il faut citer un moment marquant, les yeux fermés, je lancerai "River of Happiness". C'est un de ces titres où l'émotion transpire toute entière de l'interprétation. La fin y est gémissante, criante de tristesse. Elle m'en coupe le souffle, me touche jusque dans les tripes. Je ferme les yeux et l'ensemble me fait tout à coup penser à un vinyle qui craquèle. J'ai l'impression de faire un voyage de quelques décennies en arrière.
Quelques décennies en arrière, Simon Finn compose cette magnifique chanson qu'est "Jerusalem". Et voilà inspiré et inspirant unis ce soir pour l'amour du folk, de l'anti-folk. Enfin, quelque chose entre les deux : cet univers dépouillé et au plus près de la substantifique moelle-mélodie. Simon Finn, du haut de ses plus de quarante ans de musique, de ses collaborations multiples, s'avance, tout aussi ému.
Derrière lui, il y a cet album inoubliable Pass the Distance, puis de longues années de silence avant de revenir, finalement il y a peu, sur scène. J'ai comme l'impression d'être devant un sage racontant ces années de baroudeur.
Très vite, je suis à nouveau absorbée par cet univers qui me fait raviver des souvenirs de Neil Young. Il est intimiste, chaud et réconfortant. J'en savoure chaque morceau, comme on savoure un met divin et nouveau, comme une bouffée d'oxygène réparatrice. Je me laisse bercer par ses mélodies, comme ce magnifique titre "Don't Play if Onlys". Et lorsqu'il joue le très attendu "Jerusalem", l'attention est à son comble. On pourrait le croire pleurer à la fin, criant ses paroles de toute son âme. J'ai bu l'ensemble de tout mon soûl et je pense ne pas avoir été seule à me laisser transporter. Le public n'a pas voulu le laisser repartir. Emu, il a rejoué, malgré toute ce temps, cette distance.
L'histoire retiendra, et tant pis si je la réinvente, que la première partie a tiré de la campagne anglaise la deuxième pour le plus grand bonheur des amoureux du folk. J'ai dit tout le bien que je pensais de ce concert. Point trop n'en faut crieront certains. Mais j'ai envie de lancer, une dernière fois, les lueurs dans les yeux : belles (r)découvertes ! |