En ce mois de janvier 2012, Jean-Paul Enthoven publie, chez Grasset, son troisième roman L’hypothèse des sentiments.
L’amour, toujours l’amour ; créneau encombré, certes. Mais si les histoires se ressemblent souvent finalement, l’écriture les singularise toujours. Certains auteurs ridiculisent ces élans du cœur, d’autres les poussent à l’extrême, quelquefois c’est un mariage heureux qui est promis, plus fréquemment ce sont le rejet et la solitude qui l’emportent…
Avec son joli titre, le nouveau livre d’Enthoven semble, lui, se diriger vers la thématique de l’authenticité des sentiments et revisiter ces grandes questions que l’on s’est, certainement, tous posées au moins une fois : qu’est-ce que l’amour ? Comment savoir que l’on est réellement amoureux ?
Deux personnages : Max - la cinquantaine, élégant, séducteur, plutôt riche, sûrement égocentrique, vraisemblablement irresponsable - Marion, belle, encore jeune, épouse d’un vieux baron quasi sénile, malheureuse, en attente.
Deux valises rouges - les leurs, évidemment - qui se croisent, qui se confondent, qui s’échangent et qui provoquent la rencontre de ces deux êtres.
Lui, intrigué, elle, peu réceptive de prime abord. Lui, pressé, pressant, habitué à conquérir rapidement les cœurs. Elle, préoccupée, un peu outrée de ses avances presque grossières, un peu séduite tout de même par cette attention si vive.
Bref, le début d’une histoire. Que l’on voudrait d’amour, évidemment. Aux routes sinueuses, forcément. Traversées par Anna Karénine, Audrey Hepburn, un confident trépassé, un psychanalyste envoûté, un détective privé, un proxénète, une voyante… Entre autres.
Au fil de ces pages, les personnages se dévoilent. On comprend que Max s’était promis de ne jamais tomber amoureux, qu’il s’est beaucoup amusé à se croire au-dessus de ces émotions et qu’au final, il a peut-être malheureusement raison. A jouer si souvent avec les sentiments, à s’habituer à ne penser qu’à lui avant tout, sa capacité à aimer semble ne pas s’être développée, à moins qu’elle ne se soit asséchée totalement. Marion, elle, rêve d’être emportée par la passion qui l’emmènerait loin de sa vie scabreuse. Mais sait-elle réellement aimer quelqu’un et non pas, seulement, l’idée de l’amour ?
Enthoven assiste à ces allers-retours émotionnels, à ces petits arrangements avec la conscience, à tout ce qui finit par faire douter de la véracité de leurs sentiments. Omniscient, il révèle au lecteur le passé de ces personnages, leurs arrière-pensées aussi, par de petites notes, en bas des pages. Il s’immisce ainsi constamment dans l’histoire, dans leur histoire, se moque gentiment par des remarques sarcastiques, ou s’interroge avec sa plume pleine de tendre dérision.
Assurément, l’originalité de ce roman ne réside pas dans son sujet. Ce qui en fait sa saveur, c’est le style de l’auteur, qui semble s’être beaucoup amusé lors de l’écriture de ce livre. Max devrait n’attirer qu’un certain mépris, Marion de la pitié, et pourtant on finit par s’attacher à ces deux personnages. On ressent même l’envie de les aider à vivre enfin une belle histoire d’amour, eux qui sont si peu doués pour aimer. Après tout, on a toujours envie de croire que même les gens les plus égocentriques et égoïstes ont du cœur, n’est-ce pas ? Alors, on lit ces presque 400 pages ; on espère, on croise les doigts. Et puis, le dernier paragraphe venu, on sourit de l’ultime note de l’auteur, on referme le livre. Mais, à l’instar de tous ceux qui croisent nos vies sans rien donner d’eux, on oubliera certainement vite ces personnages. |