"Je
me souviens d’un géant sombre à l’allure
de corbeau inversée
Qui se pliait et se pliait encore pour hurler aux foules qui l’adoraient
D’une voix écorchée qu’il était
grand temps de se prémunir des ombres,
De courir aussi vite que possible vers les dernières cités
de refuges.
Mais : en restait-il ?"
Après le somptueux et mésestimé No more shall we part sorti en 2001 où le lyrisme de Nick Cave atteignait au luxe, Nocturama, datant de l’année dernière, nous laissait quelque peu sur notre faim. Inégal, il contenait pourtant quelques moments de bravoures dont le fameux "Babe, I’m on fire".
Au même moment Nick Cave annonçait que Nocturama amorçait un tournant dans sa discographie : il y aurait désormais un nouvel album chaque année. Les choses allaient-elles donc changer et le mutisme de la fin des 90’s être définitivement oublié ?
Il semble que oui, puisque 2004 voit la parution de Abattoir blues / The lyre of Orpheus, album double plutôt que double album, qui contient deux parties complètement distinctes, quasi-indépendantes aux noms bien choisis.
Dr Nick…
Sur Abattoir blues, Nick Cave et ses Bad Seeds ne font pas dans la dentelle : nerveux, ne dépassant cependant les limites qu’à de (trop) rares occasions, l’ambiance est sombre, triste quelques fois noire.
Commençant avec le morceau le plus violent de l’album, le punky "Get ready for love", Nick Cave n’hésite pas à piocher son inspiration dans les précédents recueils du groupe.
Ainsi sur "Hiding all away", on retrouve un peu de la torture de "From her to eternity" (style "Avalanche" et "Well of misery"), renforcée ici par un sentiment de terreur que génèrent les chœurs. De même, il y a du groove du "Good son" dans "Messiah Ward" et les guitares tricotées de "Straight to you" ou "Nobody’s baby now" réapparaissent sur "Let the bells ring". Par contre le dernier titre "Fable of the brown age" étonne par son étrangeté.
Violons rangés (Warren Ellis s’occupant du café), pianos excités, toutes guitares – basse comprise – dehors, chœurs endiablés, rythmiques binaires, on ne s’ennuie pas sur un Abattoir blues qui fait bouger les jambes, où l’influence de Gallon Drunk est indéniable (1).
… And Mr Cave
On prend les mêmes mais on ne recommence pas sur un Lyre of Orpheus tout en délicatesse, mélancolie, spleen (3), sehnsucht où Nick Cave regarde parfois du côté de ses meilleurs descendants.
Chose surprenante, le tout premier titre contient un sample très proche de ceux utilisés par Einsturzende Neubauten sur "Tabula Rasa" (2). Et les surprises se poursuivent.
Sur le champêtre "Breathless" (4), le premier rôle est tenu par une flûte (qui se demande bien ce qu’elle fait là). Puis les Bad Seeds se travestissent en Tindersticks le temps d’un "Babe you turn me on" (d’où le titre). Quant aux morceaux suivants (dont "Easy Money" et "Supernaturally"), ils auraient eu tout à fait leur place sur No more shall we part.
Déconcertant à sa façon, nous sommes pourtant en terrain connu : cet album présente presque toutes les facettes de la carrière de Nick Cave et ouvre de nouvelles voies. Moins religieux, moins uniforme que les précédents aussi, nous tenons ici l’un des tout meilleurs Bad seeds.
En attendant le prochain (qui devrait donc sortir en 2005 et, d’après
les rumeurs, sortir sous la forme d’un triple CD), nous allons
pouvoir creuser encore et encore dans ce nouvel album en patientant
jusqu’aux concerts d’Automne.