Le concert de My Brightest Diamond commence théâtralement : la chanteuse Shara Worden arrive sur scène avec un masque africain, le doublant d’une gestuelle particulière. Durant le concert, ce phénomène est complété par des petites danses étranges, et par d’inhabituelles touches de fantaisie comme le jeu avec de la fausse neige ou des ballons gonflables.
Ce côté de la musique de My Brightest Diamond est en fait perceptible sur disque : quand on découvre des chansons si inspirées, si lyriques, on ne peut qu’imaginer leur tendance théâtrale, qui a autant à voir avec le cabaret, l’opéra, que le rock. La chanteuse, à l’aise face au public, ne perd d’ailleurs jamais une occasion de créer le dialogue, entrecoupé de quelques intermèdes instrumentaux. Elle nous raconte des histoires très personnelles, par exemple sur ses grands-parents − une phrase marquante de sa grand-mère, une attitude estimable de son grand-père. "Don’t wait for love" conclut-elle, à la manière d’une révélation intime.
Tout dans sa musique témoigne d’une grande sensibilité : d’abord la finesse et la puissance de sa voix pouvant couvrir un large intervalle, dans la hauteur de la note et dans l’intensité ; ensuite sa faculté de poser cette voix pour appuyer avec délicatesse d’étonnantes mélodies. Aussi son répertoire contient de surprenantes reprises comme l’émouvante "Feeling Good" de Nina Simone, ou encore "Tainted Love" de Depeche Mode.
En fait, Shara Worden pourrait reprendre "Au clair de la lune" et nous bouleverser autant (j’écris ceci parce que j’étais à deux doigts d’apprécier sa reprise de Depeche Mode). Il faut rappeler qu’elle a participé, de manière significative, à l’album Come on feel the Illinoise de Sufjan Stevens, ce qui n’est pas rien. Stevens et elle auront encore beaucoup à partager, je l’espère, dans une époque où il est assez rare de trouver l’originalité.
En première partie, la chanteuse suédoise Erika Alexandersson du groupe Thus : Owls avait de fortes chances de nous plaire, du fait qu’elle ait fait partie de Loney Dear, cette autre grande référence de la pop actuelle.
Mais rapidement nous sommes gênés par ces chansons plus ou moins denses où se croisent une dizaine d’influences. En fait leur centre paraît comme éclaté : ces chansons fatiguent en partant dans tous les sens. D’une minute à l’autre, on passe des Fleet Foxes à Fiona Apple, pour ne citer que ces deux noms, de façon à ce qu’il devienne quasi impossible de se donner une idée de ce concert.
Qu’avons-nous entendu au juste ? Est-il possible de garder durablement ce patchwork musical à l’esprit, surtout avant le passage de My Brightest Diamond ?
Je finis juste par évoquer la touchante disponibilité de Shara Worden à la fin de la soirée, oubliant sa fatigue pour échanger sympathiquement quelques mots avec son public, et risquant des conversations ennuyeuses et creuses. On imagine mal un Jean-Louis Murat se permettant une telle chose − et même sur scène le type s’était montré avare, coupé du public : je parle de Murat car son attitude passée, assez désagréable, me choque davantage aujourd’hui, depuis que j’ai vécu le passage de Shara Worden. |