Il est des filiations erratiques, incertaines, improbables, métissées, ratées, et puis des filiations imparables, inexorables, patentes, qui tiennent du clonage et semblent ne pas laisser de chance à la mutation génétique.
Ainsi en est-il de celle de Dan Fante, le fils de l'écrivain italo-américain John Fante, telle qu'il la relate dans l'opus "Dommages collatéraux", sous-titré "L'héritage de John Fante".
Le titre anglais, "A family's legacy of writing, drinking and surviving", est à cet égard plus significatif quant à l'héritage de John Fante qui se résume par une trinité païenne : "écrire, boire et survivre".
En 2011, Dan Fante, apaisé, raconte sa vie mouvementée dans un opus qui ressort tant de l'autobiographie d'une filiation que des mémoires, des mémoires de l'enfer.
Car Dan Fante, c'est d'abord 40 années d'enfer pavé par la picole, la vraie, sans dessouler jour et nuit, la défonce à la drogue aux médicaments, la violence tous azimuts dont celle auto-destructrice à coups de tentative de suicide, des auto-désintoxications sauvages et des rémissions sans lendemain, des petits boulots dans les milieux interlopes des "cousins" et des arnaqueurs avec plus que de bas que de hauts, une hypersexualité parfois violente et une quête et une haine de soi qui le font naviguer entre la dépression et la folie. Un enfer qui ferait passer la vie de Bukowski pour une promenade de santé à peine arrosée.
Dan Fante appartient à une fratrie peu soudée : un frère aîné Nick le taciturne, cyclothymique, jaloux, qui a tenté à plusieurs reprises de le tuer, une soeur infernale, Vicky, et un frère cadet, Jimmy, "l'oublié d'une famille dont l'unique star devait être le patriarche". Leur mère, Joyce, qui avait suffisamment à faire pour gérer son mariage, manifestait rarement son affection pour ses enfants.
Car le père, John Fante, est névropathe, volcanique, bipolaire, intolérant et alcoolique à la présence rare qui privilégiait les copains, le golf, le jeu et les femmes. Et Dan Fante, qui avait hérité physiquement des gènes anglo-germaniques de sa mère avait une allure de "petit américain pur jus, bébé Cadum" qui n'en faisait pas le préféré de son père. Car pour le reste, il est bien le fils de son père et le descendant de trois générations d'Italiens des Abruzzes alcooliques, grandes gueules, joueurs et bagarreurs. Mais pendant des années, le fils et le père ne se sont plus parlé.
Et sa vie commence quasiment par la découverte de l'élixir qui change la vie, l'alcool, à 4 ans, avec sa première cuite en lichetrognant le reste de deux chopes de bière ("Mon cerveau n'était plus qu'une sorte de bouillie bourrée de lames de rasoir. Je n'étais plus l'enfant que la fatalité avait fait atterrir dans la mauvaise maison. J'étais libre.").
Dan Fante, c'est ensuite un écrivain qui s'est enfin consacré, en 1996, à sa vocation d'écrivain qu'il a découvert adolescent, et qui a 4 romans à son actif, une filiation là encore, avec l'écriture de son père mais avec un style différent. Entre les deux, la révélation divine et les 12 étapes des Alcooliques Anonymes qui l'ont amené au régime sec.
Raconter sa vie, il le fait sans détour, avec une crudité poignante et une mise à nu désespérée, c'est aussi raconter celle de son père, sans artifices, comme il brosse son portrait sans complaisance, en précisant que si ce dernier avait souffert de ne pas trouver d'éditeur pour ses romans il avait néanmoins réussi à gagner de l'argent avec l'écriture de scénarios à la belle époque d'Hollywood, un argent facile dont il s'était accommodé ("Même s'il s'est reproché pendant quarante ans d'avoir vendu son cul à Hollywood. De son propre aveu, il a presque toujours apprécié le moment d'aller toucher son chèque.").
C'est aussi un beau témoignage d'un inconditionnel amour filial, un amour mis entre parenthèses pendant trente ans ("Mes rapports avec mon père restaient pétris de peur et d'une admiration paralysante") et qui se sont normalisés avec les premières tentatives d'écriture du fils que le père a encouragé : "Donne-toi jusqu'à 50 ans, Dan. Tu pourrais bien être un écrivain toi aussi. Ne te presse pas. Laisse venir.". Et le premier roman de Dan Fante a été publié en 1996. Il avait 52 ans.
John Fante est mort en 1983. En 2012, au cours de l'émission "Des mots de minuit", à la lecture d'un extrait du chapitre consacré à la mort de son père, Dan Fante, sexagénaire crane rasé et visage glabre de vieux poupon, est au bord des larmes. Mon père, "mon" héros... |