Texte de Marguerite Duras, mise en scène de Christine Letailleur, avec Valérie Lang, Hiroshi Ota et Pier Lamandé.
Le Théâtre de la Ville reprend le texte écrit pour le cinéma, filmé par Alain Resnais en 1959.
Duras, en route vers elle-même, y représente les amours d'une jeune Française et d'un Japonais, chacun marqué par un drame, le crime contre l'humanité atomique d'Hiroshima et l'épuration sauvage en France de 1944-45, dans le désordre.
La belle sobriété du regard pudique de Resnais laisse place à un montage baroque non sans beauté, signé Christine Letailleur.
Le personnage féminin, incarné de manière inoubliable par Emmanuelle Riva, est repris ici par Valérie Lang - la fille du Ministre - tandis que l'amant japonais est joué par le très subtil Hiroshi Ota.
Le nu artistique - Pigalle, avec de plus beaux éclairages - est censé apporter une sensualité bridée dans le film (que la légendaire pudibonderie de l'ère gaulliste réfrénait, c'est officiel, avec une férocité moralisatrice). L'homme-accessoire, pendant de la femme-objet, est exhibé longuement, dominé symboliquement, presque crucifié dans la chambre mortuaire des amours en transit d'une femme émancipée de tout sauf de son narcissisme..
Le couple, physiquement émouvant que, donne une certaine fragilité aux ombres, échange longuement les redites durassiennes si envoutantes. Puis la vidéo se déchaîne, les ruines défilent, les chants japonais gémissent, les voix sont couvertes par des bruits de rue, façon Godard 1959. Il y a des moyens et on les montre. Toute une époque.
Le texte n'est plus assez fort, le théâtre, vieux-genre, les mots, dépassés : l'idée reçue est reçue ici avec tous les égards. Seules, la musique et surtout les images, projetées sur des fesses-écran, peuvent arracher des émotions à un public assis. La dépendance à la technique écrase l'action et le dirigeable, lourd, ne s'élève pas dans les airs.
Il y a pourtant de belles idées, des comédiens habités, des ratages amusants - la Marseillaise ou les rengaines de Piaf susurées par un monsieur qui passe - des envolées, de belles lumières signées de Stéphane Colin. Mais l'art abandonné aux mains des techniciens, cela pèse une tonne.
Même la grâce si élégante d'Hiroshi Ota et la gouaille de Valérie Lang résistent difficilement à cette bande sonore totalitaire. Du verbe, du verbe avant toute chose ! Du théâtre, puisque nous y sommes, même avec un texte pour la pellicule...
L'avenir appartient sûrement à un théâtre libéré du glacis technique. L'avenir est parfois bien long à venir. Mais les inconditionnels de Marguerite Duras, le livre sur les genoux, savoureront la langue si personnelle de cet auteur essentiel. Et les autres trouveront bien quelque chose, esthétiquement. |