Comédie de Léa Fazer, mise en scène et interprétée par Rodolphe Delalaine et Christophe Touraud.
Le jeune auteur genevois Léa Fazer conduit une carrière singulière, passant du cinéma ("Ensemble, c'est trop") à la création théâtrale.
La Suissesse signe, avec "Porte de Montreuil", un texte plein d'humour sur le désenchantement masculin.
Deux amis, "potes" ou collègues de bureau saisis par les glaces du vendredi-week-end, se retrouvent pour deviser. Familiers des lavages de chaussettes du célibataire, des nouilles froides, des couches assorties, du vieillissement qu'on surveille comme la hauteur du gazon, ces deux Paul Léautaud sans écriture et sans chats, s'abandonnent à une conversation définitive et généraliste qui ne peut pas ne pas rappeler Bouvard et Pécuchet.
On devine la détresse sexuelle des deux trentenaires, l'aigreur, l'amertume de ne pas avoir trouvé femme, comme leur père. A certains moments, la conversation dérape sur les phantasmes et aboutirait presque à une invite, si la peur du "Qu'en pensera-t-il?" ne les remettait pas sur le droit chemin...de leur solitude infernale.
On rit, beaucoup, on s'émeut, on s'interroge, on reconnait ces personnages qui ont regardé passer les trains, les occasions, les filles, les jours, la chance.
Rodolphe Delalaine est l'homme à cravate (toujours habillé pour le patron mais qui sûrement se jettera bientôt, pour ces deux jours de loisirs obligatoires, sur quelque pyjama de sport) bille ronde, oeil d'enfant sombre, qui y croit encore un peu et qui s'expose.
Il y a du Michel Bouquet, chez Delalaine, à sa façon d'endosser son personnage, avec le talent qu'il montre habituellement chez Pirandello ou Molière. C'est un comédien complet, qui passe du sombre au débonnaire, toujours inquiétant, avec ce reste d'enfance, vulnérabilité et férocité.
Face à lui, Christophe Touraud est un complice au jeu quelque peu anglo-saxon - on pense à Mel Brooks jeune - célibataire plus ranci, résigné, vieux-garçon, victime et sadique en puissance, qui oppose à la rondeur de bébé joufflu de Delalaine, une sécheresse de corps et d'âme. Il est inquiétant, ce désabonné des Courriers du coeurs, il réglerait bien des comptes...
Le duo fonctionne parfaitement et ce n'est pas un hasard si, dans la salle, on reconnaît ça et là quelque comédien célèbre venu voir ce qui se passait là. Comme souvent dans un spectacle d'une heure, il y a un petit passage à vide au milieu mais, cela, ici provient du texte même, pas du jeu.
Absurde, désarroi contemporain, solitude, comique des situations, ce type (messieurs qui regardent lugubrement tourner leur linge dans les laveries automatiques) de mâle solitaire et désabusé, inculte et essoré est décortiqué et mis en scène par les deux compères avec une jubilation noire et libératrice. Bravo ! |